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16 septembre 2020

Un outil de médecine légale révèle que la prédation des chats sur les chauves-souris est bien plus fréquente que suspecté

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Bien que les chats ne ramènent que rarement les chauves-souris qu'ils ont chassé (ici un oreillard roux), une étude britannique montre qu'ils ont une activité anti-chiroptère non déclarée, nettement plus importante (cliché V. Dedet).
Bien que les chats ne ramènent que rarement les chauves-souris qu'ils ont chassé (ici un oreillard roux), une étude britannique montre qu'ils ont une activité anti-chiroptère non déclarée, nettement plus importante (cliché V. Dedet).
 

Cela pourrait être le remake du Journal d'un chat assassin… Les propriétaires dont les chats ont un libre accès extérieur le savent bien : leur animal est un prédateur. Surtout de rongeurs. Il est plus rare qu'il ramène des chauve-souris : en France, le projet de recherche collaborative sur la prédation des chats montrait début 2019 que seules 2 % des proies ramenées étaient des chiroptères.

Traces d'ADN

Une équipe britannique a souhaité apporter une réponse à la question corollaire : et les chauves-souris qui n'ont pas été ramenées, combien sont-elles ? Ces auteurs ont eu l'idée de se rapprocher des centres de soins à la faune sauvage et d'utiliser « les outils de la médecine légale », à savoir la recherche d'ADN de chat sur les patagiums des chiroptères recueillis dans ces centres. Le résultat est sans appel : les deux tiers des chauves-souris sont positives… En d'autres termes, la prédation par les chats est significative.

Patagium déchiré

Les centres de soins de la faune sauvage britannique estiment qu'ils recueillent environ 2 000 chauves-souris blessées, pour l'essentiel sur le patagium, chaque année. Le patagium étant fortement vascularisé, le pronostic de guérison de ses déchirures est plutôt favorable, estiment les auteurs, qui ont déjà montré que, dans la majorité des cas, la déchirure se produit sur la partie de l'aile la plus près du corps. Ils ont donc supposé que ces blessures étaient liées à une prédation, et le chat était en haut de la liste des suspects.

Meowplex PCR

Pour trancher, ces “experts” ont utilisé un outil de médecine légale, grâce à une PCR spécifique des espèces domestiques les plus courantes, mise au point « car les chiens et les chats peuvent être considérés comme des victimes potentielles, des perpétrateurs ou des témoins de crimes ». Un « système Meowplex » a même été établi, qui permet de faire plusieurs PCR parallèles ciblant 11 fragments d'ADN répétés (plus un marqueur sur le chromosome Y du chat pour le sexage), qui permet d'identifier non seulement si l'ADN appartient à un chat, mais aussi de différencier des individus. Cela a permis de confondre le suspect d'un meurtre « en reliant un poil de chat trouvé sur l'arme du crime au chat du suspect » de cette autre affaire…

Pipistrelles et sérotine

Mais revenons à nos chauves-souris : les bénévoles des centres de soins recevant des chauves-souris ont été formés à prélever les lésions sans les contaminer (au cas où ils auraient eux-mêmes un chat, ou un présent dans le refuge). Pour raisons éthiques, les sujets dont l'état imposait l'euthanasie n'ont été prélevés qu'après celle-ci. Les écouvillons humides étaient roulés sur la zone blessée pendant 10 secondes, puis un écouvillon sec était employé sur la même lésion. Les ailes des sujets étaient également photographiées. Entre mars 2016 et septembre 2018, les auteurs ont ainsi recueilli des prélèvements correspondant à 72 chauves-souris, pour l'essentiel des pipistrelles communes (Pipistrellus pipistrellus, n=40). Une seule sérotine (Eptesicus serotinus) était dans ce groupe. Au total 48 étaient positifs pour la présence d'ADN de chat (66,7 %) et les témoins pour la contamination étaient tous négatifs. En outre, 58 % des préleveurs ne possédaient pas de chat, et les prélèvements issus de ces personnes étaient à 67 % positifs, renforçant la fiabilité du résultat final.

13 petits tueurs

Pour les différentes espèces de chiroptères représentées, il n'y avait pas de différence au plan statistique sur la proportion de sujets positifs :

  • 70 % des pipistrelles communes étaient positives (n=40),
  • 72 % des pipistrelles sopranes (P. pygmaeus) l'étaient (n=18),
  • 25 % des murins à moustache (Myotis mystacinus) l'étaient (n=4),
  • 25 % des oreillards roux (Plecotus auritus), l'étaient (n=4),
  • les deux murins de Natterer (M. nettereri), la sérotine et l'un des trois sujets trop abimés pour être identifiés l'étaient également.

Les auteurs ont pu utiliser l'outil multiplex pour 13 des prélèvements, mais n'ont pas identifié de chat tueur en série : il y avait 13 coupables… En analysant le nombre des déchirures du patagium, ils n'ont pas trouvé de différences entre celles qui avaient été trouvées positives pour l'ADN félin et les autres. En revanche, celles positives étaient significativement plus longues, allant jusqu'à l'os (p=0,003).

Une blessée sur deux

Pour 14 des 78 chauves-souris de l'étude, les commémoratifs mentionnaient que l'attaque par un chat était avérée (“ramené par le chat” ou “vu dans la gueule du chat”) ou suspectée. Pour 13 de ces cas, la PCR a fourni un résultat positif. Ainsi, pour les 35 autres cas positifs, il n'y avait aucun commémoratif (comme pour les 29 autres, aussi positifs). Au bilan, pour 56 % des chauves-souris amenées blessées au centre de soins sans information sur l'origine des lésions, le coupable a été identifié. Une étude italienne publiée en 2013 avait examiné les causes d'admission de chauves-souris en centre de soins sur 2 années et (déclaration par la personne qui avait trouvé l'animal) et recensé la prédation féline dans 29 % des plus de 1 000 cas. La présente étude incrimine donc les chats « de manière nettement plus fréquente que ce qui était rapporté jusqu'ici ». Et c'est probablement une sous-estimation, les chauves-souris blessées ou tuées n'étant pas toujours ramenées par les chats. Comme la population de chats est en croissance, « le nombre de chiroptères blessés par des chats va probablement augmenter encore »… A moins que les maîtres n'aient recours à des dispositifs limitant la prédation (couvre-feu nocturne, clochettes ou colliers adaptés).