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11 septembre 2020

L'intoxication canine par les raisins provoque aussi des signes nerveux. En lien avec le délai de prise en charge ?

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

Dans la fable de La Fontaine, le renard était attiré par les fruits de la treille. Ce n'est qu'au début des années 2000 que les raisins sont apparus comme des toxiques importants pour leurs cousins domestiques… (illustration de François Chauveau dans le premier volume des fables de La Fontaine, publié en 1668).
Dans la fable de La Fontaine, le renard était attiré par les fruits de la treille. Ce n'est qu'au début des années 2000 que les raisins sont apparus comme des toxiques importants pour leurs cousins domestiques… (illustration de François Chauveau dans le premier volume des fables de La Fontaine, publié en 1668).
 

Bien que deux des cas décrits ci-dessous aient été liés à l'ingestion de marc de raisin, la saison des vendanges n'est probablement pas responsable de la publication récente de deux études rétrospectives sur les intoxications canines par les raisins. L'une, européenne, ajoute au diagnostic différentiel de l'affection. L'autre, américaine, aiguille vers une prise en charge la plus précoce possible de ces cas.

Cas-témoin

L'étude européenne a été conduite à la faculté vétérinaire de Berne (VetSuisse), et a comparé les signes cliniques et l'évolution de 15 chiens ayant présenté une intoxication par les raisins (frais ou secs) confirmée (au plus 72 h avant la prise en charge) et ayant été hospitalisés pour cela. Ces 15 chiens (IRIS stade 4 ou 5) ont été appariés à 74 autres cas ayant consulté sur la même période (2009-2011) et ayant présenté une atteinte rénale aiguë avec une autre cause (IRIS stade 2 à 5). Les auteurs avaient deux objectifs : voir l'évolution clinique de ces animaux et évaluer les facteurs de développement de signes cliniques lors de ces intoxications. En effet, bien que le nombre de cas d'intoxication avec des raisins décrits dans la littérature ne signalent que rarement des signes neurologiques, sur les chiens présentés au service d'urgence de VetSuisse pour ce motif, ils avaient observé « des signes neurologiques sévères, dominant parfois le tableau clinique et perturbant le diagnostic différentiel ».

Ataxie généralisée

Conformément à la description connue de l'intoxication aux raisins, tous ces cas présentaient des vomissements et étaient en oligo-anurie ; la moitié (8/15) présentait une diarrhée. Près des trois quarts de ces cas (11/15) ont présenté des signes neurologiques graves à l'admission. Aucun ne présentait de douleurs évidentes, mais 7 présentaient une conscience légèrement (n=2) à sévèrement altérée. Deux avaient des tremblements généralisés, un avait la tête en arrière, un était en cyphose. Neuf avaient une ataxie généralisée (intermittente pour l'un d'entre eux), et un a fait des crises d'épilepsie pendant son hospitalisation. Un chien présentait une tétraparésie légère, trois étaient ébrieux et 2 hypermétriques. Avec l'examen des nerfs crâniens, les cliniciens ont conclu à une « atteinte multifocale intracrâniale du prosencéphale avec ou sans cervelet pour 10 chiens et du système vestibulaire périphérique » pour le dernier.

Léthargie qui persiste

Pour ce qui est de l'évolution de ces signes, « ils se sont initialement aggravés pour 6 des 11 chiens, avant de régresser sur 2 à 20 jours ». Dans la plupart des cas, « cette amélioration était plus lente que celle de la fonction rénale ». Par rapport à ces 73 % de chiens à signes neurologiques (11/15) et atteinte rénale, la proportion de cas témoin présentant des signes neurologiques était de 3 % (2/74, l'un était épileptique et l'autre en hypoglycémie). Si certains des chiens témoin pouvaient « avoir présenté une conscience légèrement altérée du fait de l'urémie (…) cette léthargie disparaissait rapidement avec l'amélioration de l'azotémie », ce qui n'était pas le cas des chiens intoxiqués.

Guérison neurologique

Toutefois, le pronostic reste réservé : 6 des 11 chiens ont survécu, les 5 autres ont été euthanasiés « pour des motifs non neurologiques, entre 1 et 4 jours après l'admission ». Ceux qui ont survécu ont fait une guérison neurologique sans séquelles. Au total, 7 des 15 chiens sont décédés (euthanasie en lien avec la lourdeur de la dialyse ou avec leur atteinte rénale avancée). Les auteurs ont contacté les maîtres des chiens survivants : ceux-là étaient tous vivants entre 9 et 13 mois après être rentrés chez eux. « A notre connaissance, écrivent les auteurs, il s'agit de la première description de l'évolution à long terme des survivants à une intoxication par les raisins présentant une guérison rénale quasi complète à plus de 6 mois de la sortie d'hospitalisation ».

US : très faible mortalité

Dans cette étude, le taux de létalité était comparable pour les chiens intoxiqués (7/15 : 46,7 %) et les témoins (32/74 : 43,2 %), et proche de celui évoqué dans la littérature, autour de 50 %. Dans l'étude américaine, les fichiers des cliniques de trois facultés de médecine ont été fusionnés à la recherche de cas avérés d'ingestion de raisin : entre 2005 et 2014, les auteurs en ont dénombré 139 dont… un seul décès. L'ingestion avait été considérée comme certaine, soit observée par le maître, soit du fait de la présence de grains de raisin dans les vomissures ou les selles diarrhéiques, mais aussi « suspectée et avec présence d'azotémie ». Les auteurs souhaitaient évaluer, dans leur étude rétrospective, si la sévérité de l'atteinte rénale augmentait avec le délai de prise en charge du patient. Ils n'ont pu y parvenir, faute… de cas !

Délai de prise en charge

Comme le délai de vidange gastrique chez le chien est de 4 à 6 h, ces auteurs ont divisé les cas en :

  • prise en charge précoce (jusqu'à 4 h après l'ingestion, le délai le plus court était de 15 minutes) qui concerne 82 chiens (62,6 % de l'effectif). Un seul d'entre eux a présenté des tremblements et 2 de la léthargie. Seuls 5 des chiens de ce groupe avaient vomi (6,1 %) et 3 présentaient une maladie rénale à l'admission (4,5 % des chiens avec données biochimiques) ;
  • prise en charge tardive (> 4 h, le délai le plus long était de 48 h), qui concerne les 57 autres cas. Un seul d'entre eux a présenté de l'ataxie. Treize des chiens de ce groupe avaient vomi (22,8 %) et 3 présentaient une maladie rénale à l'admission (9,4 % des chiens avec données biochimiques).

La quasi-totalité des cas ont été « décontaminés » : administration de charbon activé et/ou d'un émétique, avec une proportion supérieure chez les “précoces” par rapport aux “tardifs” (p<0,0001 pour les deux traitements). Ce qui est probablement la clé du succès du point de vue des chiens, mais ne peut être démontré du fait du protocole de l'étude (pas de témoins, nature rétrospective).

Sensibilisation

Dans l'étude suisse, les chiens à intoxication étaient inclus s'ils avaient une ingestion avérée de raisins et s'ils avaient présenté un déclenchement brutal de vomissement dans les 48 h suivantes, et dans les 72 h de la prise en charge. La littérature décrit l'occurrence de vomissements dans les 8 à 24 h post-ingestion, et 24 à 48 h pour l'azotémie. Les différences de taux de mortalité et de proportion de sujets à maladie rénale aiguë entre les deux études s'expliquent donc probablement par la rapidité de la prise en charge après l'ingestion dans la seconde. « Il est possible que la décontamination ait prévenu la survenue des signes cliniques et de l'atteinte rénale », mais cela ne peut être conclu du fait de la nature rétrospective de l'étude, insistent ses auteurs. Il reste que « la faible prévalence des maladies rénales aigues reflète une sensibilisation accrue du public et des professionnels au fait que les raisins frais et secs sont des toxiques importants » pour les chiens.

Les auteurs des deux études rappellent aussi que l'agent toxique provoquant l'intoxication par les raisins, frais ou sec, n'est pas connu. Il n'est pas certain que ce soit le même composé qui soit à l'origine des altérations rénales et nerveuses, ajoutent les auteurs suisses. Toutefois, ces signes neurologiques ne sont pas liés à l'urémie, comme le montre la comparaison avec le groupe témoin (les auteurs évacuent aussi l'hypertension et le déséquilibre ionique dans l'étude comparative).