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26 mai 2020

France : deux épisodes nosocomiaux dans un hôpital vétérinaire liés à une Serratia, le second avec une souche résistante à la chlorhexidine

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

Serratia marcescens est une bactérie dont le réservoir environnemental est inconnu, intrinsèquement résistante à de nombreux antibiotiques. Ici figure son expression phénotypique habituelle, avec l'image caractéristique autour du disque de colistine. Elle est plus souvent décrite en humaine qu'en médecine vétérinaire dans des infections nosocomiales (cliché : Laboratoire Vétérinaire de l'Hérault).
Serratia marcescens est une bactérie dont le réservoir environnemental est inconnu, intrinsèquement résistante à de nombreux antibiotiques. Ici figure son expression phénotypique habituelle, avec l'image caractéristique autour du disque de colistine. Elle est plus souvent décrite en humaine qu'en médecine vétérinaire dans des infections nosocomiales (cliché : Laboratoire Vétérinaire de l'Hérault).
 

Une  publication française (laboratoire vétérinaire de l'Hérault, Anses et clinique vétérinaire Languedocia) vient ajouter la description de deux épisodes successifs d'infections liées à l'hospitalisation à Serratia marcescens, dans un hôpital vétérinaire. C'est, selon ces auteurs, la « première description de l'occurrence sur le long terme d'infections liées à l'hospitalisation en structure vétérinaire ». La biologie moléculaire leur permet de distinguer deux événements, en 10 ans, le second détecté grâce à la mise en place d'un programme de surveillance des infections du site chirurgical.

Vigilance accrue

Les épisodes nosocomiaux vétérinaires à Serratia marcescens publiés sont peu nombreux et remontent aux années 1980. Ceux en médecine humaine sont – logiquement – plus fréquents, avec par exemple un épisode dans une clinique de neurochirurgie en Corée du sud lié à une stérilisation inapropriée des… rasoirs, même si les cas les plus fréquents sont en unités de néonatalogie (sujets vulnérables, soins sophistiqués, procédures invasives, séjour prolongé…). Mais, préviennent les auteurs, « comme les niveaux de soins, la taille et l'organisation des structures [vétérinaires] évoluent, les praticiens devraient être de plus en plus vigilants » vis-à-vis de S. marcescens. Dans le cas présent, l'investigation a été lancée suite à l'observation d'une augmentation du nombre d'isolats de S. marcescens parmi les prélèvements du programme de surveillance des plaies chirurgicales, en place dans la structure vétérinaire.  Cela a conduit « à lancer une investigation rétrospective sur 10 ans dans cet établissement ».

66 infections à Serratia en 10 ans

« De 2009 à 2018 [période enquêtée], l'activité [de l'hôpital] a augmenté progressivement, atteignant 15 000 consultations et 1 300 opérations chirurgicales annuelles (à 55 % orthopédiques) ». Une prophylaxie antibiotique systématique y est appliquée, avec l'administration intraveineuse d'amoxicilline (20 mg/kg), « 30 minutes avant l'incision, puis répétée toutes les 90 minutes » et lors d'orthopédie un traitement amoxicilline-acide clavulanique sur 6 jours après l'opération. Les données du suivi des cas et du programme de surveillance des plaies chirurgicales ont été analysées rétrospectivement. La définition des cas d'infections associées à l'hospitalisation (IAH) était une infection survenant sur le site opératoire (y compris points cutanés) de 48h à un mois après l'intervention. Les auteurs ont ainsi identifié « 66 animaux à partir desquels une S. marcescens avait été isolée ». Ces isolats présentent le profil de résistance intrinsèque de S. marcescens : pénicillines à spectre étroit, association amoxicilline-acide clavulanique, céphalosporines, macrolides, tétracyclines et colistine (voir l'image principale). Ils provenaient majoritairement de chiens (n=45) mais aussi de chats (n=19) et de lapins (n=2). Ils ont été obtenus dans deux contextes principaux, et plus d'une fois sur deux en culture pure :

  • une infection suspectée ou avérée sur site opératoire (orthopédie et tissus mous), avec 35 isolats, dont l'analyse des données a confirmé une infection associée à l'hospitalisation pour 23 d'entre eux ;
  • et la surveillance (écouvillon de la plaie en fin d'intervention « pour être certain qu'aucun pathogène important n'est présent à la surface de la cicatrice »), pour laquelle 9 des 31 souches ont été liées à une infection associée à l'hospitalisation (les autres reflètent une colonisation).

Evolution favorable

Parmi les 26 souches d'IAH pour lesquelles la nature du traitement du patient était disponible, plus des trois quarts des sujets avaient reçu soit de l'amoxicilline, soit l'association amoxicilline-acide clavulanique. Les autres ont reçu de la marbofloxacine. Du fait de l'infection, le traitement des premiers a été modifié pour une fluoroquinolone dans 70 % des cas (60 % pour ceux ayant reçu une pénicilline), avec une évolution favorable dans près de trois cas sur quatre (72,7 %). Aucune euthanasie ni évolution fatale n'a été associée à ces IAH. Toutefois, la chronologie des isolements identifie deux épisodes :

  • un premier, survenu entre septembre et décembre 2009, comprend 9 isolats, dont l'analyse moléculaire indique que 8 appartiennent tous à un même groupe génétique ;
  • un second, qui s'est étendu de mars 2014 à septembre 2018, qui comprend 58 isolats, dont 20 des 24 isolats d'IAH appartiennent à un même groupe génétique, différent du précédent (mais aussi chez 18 des 22 isolats de patients colonisés). Toutefois, un chat de 2017 présente un isolat appartenant au “premier” clone.

Boîte à compresses

Les auteurs n'ont pas identifié de cas survenus entre 2009 et 2014, et attribuent ce résultat « au déménagement de la structure fin 2009 ». La source du premier épisode n'a pas été clairement identifiée, faute de prélèvements environnementaux à l'époque. Pour le second épisode, une enquête épidémiologique a été réalisée, et « 6 isolats supplémentaires ont été obtenus de 37 écouvillons environnementaux (salles de chirurgie, chenils, robinets, éviers, compresses imprégnées d'alcool ou de chlorhexidine, pulvérisateurs de désinfectant, sondes d'endoscopie et tubes d'anesthésie) au sein de l'hôpital en janvier (n=3/32) et avril (n=3/5) 2019 ». Tous les prélèvements positifs de janvier provenaient « d'un contenant en plastique de la solution à 1 % de chlorhexidine et de compresses pré-imprégnées, destinées aux salles d'opération d'orthopédie et de tissus mous ». Ce contenant restait en fonction « pendant plusieurs mois ». Le même objet a fourni des prélèvements positifs en avril. Ces isolats appartiennent tous au même groupe génétique que celui dominant pour les IAH de 2014-2018, indiquant un lien épidémiologique clair et une source probable de l'infection.

CMI plus élevées

La souche issue du container avait une CMI de 128 mg/l vis-à-vis de ce désinfectant. La CMI a été déterminée pour 54 des isolats de l'étude : elle variait de 64 à 128 mg/l alors que pour 6 souches isolées d'autres contextes vétérinaires, elle était au plus de 32 mg/l. Ce qui renforce le lien de causalité entre souche issue des compresses imprégnées et IAH,« bien que les CMI de la chlorhexidine in vitro (128 mg/l) soient plus faibles que la concentration réelle en chlorhexidine dans la solution désinfectante (1 %) ». Les auteurs proposent, pour expliquer cette apparente incohérence, que « la tolérance in vivo soit plus forte [que celle observée in vitro], et/ou que la non sensibilité aux désinfectants facilite la formation de biofilm ». Enfin, cinq isolats ont fait l'objet d'un séquençage intégral du génome, qui confirme que « deux lignées différentes de S. marcescens se sont propagées au sein de l'établissement vétérinaire sur la période de 10 ans, et que le container des compresse imprégnées à 1%  de chlorhexidine est la source la plus probable du second épisode » nosocomial. Ces containers ont été retirés de la totalité de l'établissement et de nouvelles procédures de préparation du site chirurgical ont été adoptées, conduisant à ne plus observer d'IAH à S. marcescens.

Programme de surveillance

A l'identification du second épisode « l'hôpital vétérinaire a mis en place une politique de vérification bactériologique fréquente des plaies chirurgicales », avec des « écouvillonnages, en particulier pour les interventions difficiles. Cela a permis de réévaluer les traitements antibiotiques lorsque c'était nécessaire, ainsi que de suivre l'évolution de l'épisode de S. marcescens ». Les auteurs rappellent que les « éléments clé pour la détection des infections associées à l'hospitalisation sont : un programme de surveillance adapté aux risques et aux besoins de la structure vétérinaire  et un usage routinier des cultures diagnostiques et des données de sensibilité pour établir des niveaux de base de prévalence des pathogènes et de leur résistance liées au type d'exercice, pour pouvoir détecter des changements ».