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21 janvier 2015

Transmission zoonotique d’une infection “diphtérie-like” : chiens, chats et bovins sont réservoirs

par Vincent Dedet

Souche de Corynebacterium ulcerans sur gélose au sang
Souche de Corynebacterium ulcerans sur gélose au sang.

La description d’une forme cutanée de diphtérie chez un adulte en Allemagne met en lumière le rôle des chiens et chats dans cette maladie, autrefois strictement humaine. Le gène codant pour la toxine diphtérique a voyagé jusqu’à des espèces de corynébactéries de la flore nasale des carnivores domestiques, en faisant des réservoirs potentiels, en plus du réservoir plus classique, bovin. Il y a aujourd’hui plus de cas de diphtérie liés à une transmission zoonotique qu’à son agent “historique”.

 
Souche de Corynebacterium ulcerans sur gélose au sang
Souche de Corynebacterium ulcerans sur gélose au sang.
 

Un Allemand de 53 ans a été diagnostiqué fin 2012 comme souffrant d’une fasciite nécrosante concernant ses deux mollets. Ces lésions sont apparues sans traumatisme préalable, et le sujet n’avait pas voyagé récemment, ni n’avait de contact avec du bétail. Un écouvillon de la lésion a fourni Staphylococcus aureus, Bacteroides sp. et Corynebacterium ulcerans. Cette dernière souche s’étant avérée positive pour le gène tox, codant pour la toxine diphtérique, le traitement a ciblé ce germe (pénicilline et clindamycine pendant 14 jours et débridages chirurgicaux répétées des plaies). Le patient a été considéré comme guéri après deux prélèvements négatifs pour C. ulcerans, à deux semaines d’intervalle. Il s’agit donc d’un forme cutanée de diphtérie, liée à une espèce de corynébactérie sécrétant bien la toxine diphtérique, mais différente de l’agent historique de la maladie, strictement humain : Corynebacterium diphteriae.

 

Homologie génétique parfaite

Du fait de la nature zoonotique de C. ulcerans, les autorités sanitaires ont ordonné le prélèvement des deux chiens du patient. L’écouvillon nasal d’un des chiens a bien fourni une souche de C. ulcerans porteuse du gène de la toxine diphtérique (tox+). Le séquençage de la totalité du génome des deux souches a révélé leur parfaite identité, et ce niveau d’homologie fait pencher les auteurs pour une « transmission zoonotique récente ». Un seul cas de transmission cutanée d’une espèce “diphtérie-like” était jusque-là décrit, suite à une morsure de chat. Le cas présent est probablement lié à une micro-ulcération de la peau (pas de commémoratif de traumatisme).

 

Définition officielle

La survenue de cas de diphtérie liés à des souches toxinogènes de C. ulcerans reste rare, mais est observée dans l’ensemble des pays industrialisés, où la couverture vaccinale humaine contre C. diphteriae est bonne. Toutefois, elle est en émergence. Par exemple, il y a eu 5 décès de diphtérie outre-Manche depuis 1986, trois étant dus à C. ulcerans. En France, il n’y a pas eu de cas de diphtérie à C. diphteriae entre 1990 et 2001. De 2002 à 2009, 19 cas de diphtérie ont été identifiés : 4 étaient dus à C. diphteriae et ont concerné des migrants, 12 à C. ulcerans et 4 à C. peudotuberculosis toxinogènes. Dix des 12 cas à C. ulcerans avaient un historique de contact avec des chiens ou chats. Pour deux des chiens testés, il y avait bien portage de C. ulcerans, dont l’analyse moléculaire a révélé qu’il s’agissait de la même souche que celle de leur propriétaire. Dans trois autres cas, « les animaux n’ont pas été prélevés car les propriétaires n’avaient pas les moyens de régler le vétérinaire et les autorités publiques de santé animale ont refusé de faire prélever les chiens au motif que la diphtérie n’est pas une zoonose ». Aussi, la définition officielle d’un cas de diphtérie a été élargie en 2003, pour inclure les infections à C. ulcerans toxinogènes.

 

Chez les chiens et chats depuis 2005

Les bovins sont considérés comme le réservoir naturel de C. ulcerans (en particulier les cas de mammite liés à ce germe), mais son spectre d’hôtes est en train d’être découvert, comme si la cas humains en étaient les sentinelles. En 2010, un étudiant vétérinaire britannique, qui avait été correctement vacciné, a développé une angine diphtérique avec des signes cliniques légers à la suite d’un stage en exploitation ovine en période d’agnelages. Les animaux n’ont pas été testés, mais l’étudiant avait aussi été en contact avec les chiens de l’exploitation. En outre, un cas d’angine diphtérique survenu fin 2007 chez une éleveuse allemande de porcs a été identifié comme lié à une souche de C. ulcerans toxinogène. Sa guérison a nécessité son hospitalisation. Elle possédait un élevage « traditionnel » de 500 porcs, et 19 d’entre eux ont été prélevés (écouvillonnage pharyngé) : un porc a été trouvé porteur, et la séquence génétique du gène tox était identique pour la souche humaine et la souche porcine. Enfin, les cas humains occasionnellement décrits confirment, depuis 2005 lorsque les investigations sont réalisées, que les C. ulcerans toxinogènes peuvent aussi être hébergés dans al flore nasale des chiens et chats.

 

Pour mémoire

Le symptôme caractéristique de la diphtérie “classique” est la présence de fausses membranes au siège de la multiplication des bacilles diphtériques (le plus souvent au fond de la gorge : angine diphtérique). Elle est peu fébrile mais les lésions pharyngées peuvent s’étendre. Une forme cutanée de la diphtérie existe, elle aussi caractérisée par la présence de fausses membranes. Dans les deux cas, la gravité de l’infection est liée à la toxicité de la toxine diphtérique, qui diffuse dans l’organisme. En particulier vis-à-vis du myocarde (myocardite aiguë dès le 6e jour d’infection, mais aussi polyradiculonévrite apparaissant entre 3 et 6 semaines après l’infection. Le taux de létalité varie de 2 à 20 %. Les enfants étaient autrefois l’essentiel des victimes de la diphtérie. La bonne couverture vaccinale et l’émergence de souches toxinogènes chez C. ulcerans ont modifié ce tableau : les cas de diphtérie, rares, sont à présent observés à tous âges.

Plusieurs auteurs suggèrent qu’une étude de prévalence de C. ulcerans chez les carnivores domestiques serait utile. En particulier chez les chiens de troupeau ? Enfin, le cas de l’étudiant vétérinaire britannique a conduit à conseiller de « surveiller le bon niveau d’immunisation des étudiants vétérinaires vis-à-vis de la diphtérie ».