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21 octobre 2019

84 % des jeunes traitent contre les puces contre 53 % des seniors… mais sans gants, s'en inquiète l'Anses

par Eric Vandaële

Temps de lecture  9 min

L'enquête Pesti'home permet de décortiquer le profil des utilisateurs d'APE. Le marché peut encore croître. 40 % des propriétaires ne traitent pas leur animal. Mais surtout chez les séniors et les adultes. Source des données : Anses.
L'enquête Pesti'home permet de décortiquer le profil des utilisateurs d'APE. Le marché peut encore croître. 40 % des propriétaires ne traitent pas leur animal. Mais surtout chez les séniors et les adultes. Source des données : Anses.
 

Les antiparasitaires externes (APE) des chiens et des chats sont-ils des pesticides ? Oui selon l'Anses. L'agence les a inclus dans sa grande enquête Pesti'home sur l'usage à domicile des pesticides — comprenez des insecticides à 84 % et des herbicides (glyphosate…) à 24 % — auprès de 1507 foyers français.

Du coup, les possesseurs d'un chien et d'un chat, la moitié (44,6 %) des foyers français, se sont révélés comme de « forts utilisateurs de pesticides » selon les résultats de cette enquête.

Cette inclusion des APE est pour le moins curieuse. Habituellement, la notion de pesticides dans les textes réglementaires regroupe deux grandes catégories de produits : ceux de phytopharmacie (herbicides, insecticides, fongicides) et des biocides (insecticides, rodenticides, répulsifs). C'est donc la première fois que cette notion de pesticide s'élargit à des médicaments, en l'occurrence les antiparasitaires externes des animaux de compagnie (APE) et quelques rares antipoux pour les enfants.

Cinq ans pour publier un rapport illisible mais fiable

Ce rapport de 273 pages fait (malheureusement) partie de ces rapports statistiques illisibles avec des dizaines des tableaux de milliers de chiffres qui s'étalent sur plusieurs pages. Pour souligner la représentativité statistique de cette étude, la méthodologie de l'étude et la description statistique de l'échantillon des 1507 foyers tirées au sort s'étendent déjà sur 60 pages de ce rapport. Tous ces détails démontrent à celui qui en douterait la fiabilité des résultats.

Cela peut aussi expliquer aussi le long délai de cinq ans entre la date de l'enquête (juillet à novembre 2014) et la publication du rapport fin 2019. Entre-temps, un grand nombre de produits de phytopharmacie, voire de biocides, ont été interdits de vente au public. Et dans les APE, le marché a été un peu bouleversé par l'arrivée des comprimés d'isoxazolines (Bravecto°, NexGard°, Simparica°, Credelio°) dont les substances actives ne sont donc pas citées dans ce rapport, contrairement aux pyréthrinoïdes et au fipronil.

Les trois quarts des Français utilisent des pesticides, à 84 % des insecticides

Cette étude décortique les usages, le stockage, l'élimination et même le lieu d'achat de onze catégories de pesticides dont principalement :

  • Les biocides contre les « nuisibles » : insectes volants, rampants, acariens des poussières, rongeurs, les parasites du bois,
  • Les traitements des plantes (phytopharmacie) d'intérieurs ou d'extérieurs,
  • Les médicaments antiparasitaires externes des animaux de compagnie (APE)
  • Les médicaments antipoux pour les enfants
  • Et les (biocides) répulsifs cutanés type antimoustiques (ou appliqués sur des vêtements).

Les trois quarts des 1507 foyers interrogés (75,1 %) utilisent au moins un pesticide par an avec une médiane chez les utilisateurs de (seulement) trois usages par an. Les insecticides, dont les APE, sont les pesticides les plus fréquemment utilisés (par 83,9 % des utilisateurs) loin devant les herbicides (24,1 %), les fongicides végétaux (22,9 %) et les rodenticides (9 % des utilisateurs).

Le marché des APE n'est pas saturé. 40 % de propriétaires ne les utilisent pas

Le rapport établit alors des corrélations assez évidentes entre l'usage des pesticides et les facteurs suivants.

  • La présence d'un animal de compagnie. 87,5 % des foyers avec un animal domestique utilisent un pesticide au moins une fois par an versus 67,3 % des foyers sans animaux. Mais ces possesseurs de chiens ou de chats n'utilisent un APE que dans 60,6 % des cas. Ce qui signifie que 40 % de ces clients potentiels ne traitent pas leurs animaux contre les puces. Le marché est loin d'être saturé.
  • La présence d'un enfant (et l'usage des antipoux). 79,5 % des foyers avec enfant sont utilisateurs d'un pesticide versus 67,9 % pour une personne seule.
  • La présence d'un jardin. 82,1 % des personnes qui disposent d'un jardin (versus 68,8 % sans) utilisent des pesticides, notamment des herbicides et d'autres produits de phytopharmacie insecticides (contre les pucerons) ou fongicides.

D'autres corrélations un peu moins évidentes sont révélées par cette enquête.

  • Le niveau d'études. Le niveau d'utilisation croit avec le niveau d'études. Les non-diplômés sont moins nombreux à utiliser des pesticides (69,7 %) par rapport au bac+2 (78,5 %) et aux diplômés d'études supérieures (85,3 %).
  • La profession avec une grosse surprise. Les agriculteurs sont de loin les moins utilisateurs (64,7 %) de pesticides dans leurs domiciles par rapport à toutes les autres professions.
  • La localisation et la surface du logement. Les habitants des immeubles des centres-villes sont les moins utilisateurs de pesticides (73,3 %) par rapport aux banlieues (74,2 %) et surtout aux bourgs ruraux (78,2 %) ou, a fortiori, aux maisons isolées (80,2 %). De même, l'usage des pesticides à domicile est corrélé à la surface du logement. Les petits logements de moins de 40 m2 nécessitent moins de pesticides (61,5 %) que les grandes surfaces (81,7 %).
  • Enfin, la région. Les habitants des régions méditerranéennes (PACA et Languedoc-Roussillon) sont aussi plus utilisateurs de pesticides (82,3 %) sans doute pour se protéger eux-mêmes contre les piqûres des moustiques.

Les forts utilisateurs de pesticides sont les propriétaires d'un animal

Trois profils types d'utilisateurs de pesticides sont ainsi définis, en dehors des non-utilisateurs qui représentent un quart des Français.

  1. Les « faibles utilisateurs » habitent dans des immeubles (donc sans jardin), en centre-ville, plus souvent dans la région Ile-de-France. Ils n'ont donc pas de jardin et moins d'animaux de compagnie et des plus petites surfaces de logement. Ils n'utilisent que des insecticides une à trois fois dans l'année.
  2. Les « forts utilisateurs » sont les propriétaires d'animaux de compagnie (44,6 % des foyers de l'étude). Ils les traitent contre les puces, les tiques ainsi que leurs enfants contre les poux. Les forts utilisateurs utilisent des pesticides jusqu'à 2 à 3 fois par mois (33 fois par an).
  3. Les « très forts utilisateurs » (≥ 3 fois par mois, > 33 fois par an) représentent un quart des utilisateurs (23 %). Ils ont, en plus d'un animal, un jardin, voire une piscine. Ils utilisent donc plusieurs types de produits pesticides : pour leur jardin (herbicides, fongicides, insecticides), leur maison, leur piscine ou pour se protéger eux-mêmes contre des insectes, notamment contre moustiques en région PACA et Languedoc-Roussillon (31 % de « très forts utilisateurs »).

Les jeunes traitent beaucoup à l'inverse des séniors

Une lecture assez précise des multiples tableaux de chiffres de ce rapport permet de bien décrire l'usage des APE par les propriétaires. C'est le principal intérêt de ce rapport pour les vétérinaires.

Seulement (?) 60,6 % des possesseurs d'animaux de compagnie utilisent un APE. Ce qui signifie aussi que 40 % des propriétaires de chiens ou de chats ne les traitent pas contre les puces. Le marché des APE peut encore augmenter de 50 % si la quasi-totalité des propriétaires de chiens ou de chats acceptaient de traiter en prévention des infestations par les puces. La publicité n'est donc pas inutile pour développer cette prévention.

  • L'effet âge est très marqué sur les utilisateurs des APE. 84,3 % des jeunes propriétaires (< 25 ans) traitent leurs animaux contre seulement 53 % des plus de 55 ans. Entre les deux, les 25-54 ans les traitent à 64 %. Les éventuelles campagnes de promotion des APE devraient donc viser en priorité les séniors ou au moins les adultes.
  • Peu d'effet sexe. Les APE sont un peu plus utilisés par les femmes (63,6 %) que les hommes (59,6 %).
  • Un effet diplôme. Les APE sont beaucoup plus utilisés par les diplômés d'études supérieures : 74 % versus 53 % pour le niveau bac.
  • Pas d'effet logement. Curieusement, les propriétaires ne traitent pas davantage selon la localisation de leur logement, mais toujours à 60 % en centre-ville ou en milieu rural.
  • Mais un effet jardin. Logiquement, la présence d'un jardin encourage à ce traitement (63,3 % versus 54,9 %).

Les APE s'utilisent toujours sans gants s'inquiète l'Anses

Sur les précautions d'emploi des APE, le rapport Pesti'home met en évidence que les propriétaires de chiens ou de chats n'ont évidemment pas conscience d'utiliser un pesticide toxique pour l'environnement, pour eux-mêmes ou leurs enfants.

  • Aucun utilisateur d'APE prend systématiquement des précautions d'emploi, mais à l'inverse presque aucun (2 %) n'en prend jamais. 98 % des utilisateurs en prennent donc parfois (48 %) ou souvent (50 %).
  • Ces utilisateurs d'APE déclarent lire toujours l'étiquetage extérieur à 67,4 % et la notice à 57,3 %. L'Anses souligne à l'inverse qu'au moins un tiers des utilisateurs, voire 40 %, ne lisent pas systématiquement la notice ou l'étiquetage.
  • Les utilisateurs d'APE respectent toujours la dose à 78,7 % (du fait probablement que les formes galéniques ne permettent pas vraiment de s'écarter de la dose recommandée).
  • Ils déclarent aussi respecter toujours (73 %) ou souvent (10 %) la fréquence d'application recommandée, soit le plus souvent un traitement par mois.
  • En revanche, ils sont moins nombreux (68 %) à déclarer respecter toujours les précautions d'emploi de la notice.
  • Ils ne portent jamais de gants à 85,1 %. Toutefois, 10,5 % des utilisateurs d'APE déclarent en porter toujours et 2,2 % souvent.
  • À 98 %, ils ne portent (évidemment) jamais de masques ni d'autres vêtements de protection pour appliquer un spot-on.
  • Mais à 90 %, ils se lavent toujours les mains après l'application.
  • À 98 %, ils ne prennent aucune autre précaution d'emploi, alors que de nombreuses notices recommandent de traiter l'animal le soir et de, surtout, ne pas le caresser dans les heures qui suivent (et donc ne pas dormir avec le chat venant d'être traité par un spot-on).

40 % des utilisateurs achètent chez le vétérinaire, 30 % en pharmacies

À près de 70 %, les utilisateurs d'APE préfèrent acheter dans le circuit pharmaceutique

  • Près de 40 % (39,8 %) des utilisateurs déclarent acheter les APE chez un vétérinaire.
  • Près de 30 % (28,6 %) chez un pharmacien
  • La vente libre concerne principalement les grandes surfaces (16,1 % des utilisateurs) et les jardineries (6,6 %).
  • Selon cette enquête qui date de 2014, les ventes en ligne d'APE par internet seraient marginales : 1,4 % des utilisateurs d'APE. Il est probable que les ventes par internet se soient développées depuis.
  • À titre de comparaison, les produits antipoux sont achetés à 85 % en pharmacie, à 6 % en parapharmacie et 22 % en GMS.

Les pesticides du domicile sont stockés d'abord dans la cuisine (33,7 % des cas) ou dans le garage (24,5 %). Les pesticides non utilisés et périmés ainsi que les emballages vides sont pour la plupart jetés avec les déchets ménagers, respectivement 59,3 % et 65,7 %. À défaut, ils sont emmenés dans les déchetteries pour 35,6 % des pesticides non utilisés ou périmés et 26 % des emballages vides.

L'Anses rappelle les précautions d'emploi des pesticides pour les APE

Curieusement, les recommandations de l'Anses à la suite de l'étude Pesti'Home portent principalement sur les APE, le « socle » des « forts utilisateurs » des pesticides à domicile. Les précautions d'emploi des APE sont, à l'évidence, peu respectées, comme le port des gants ou l'absence de caresse avec un animal traité de préférence le soir. L'Anses s'adresse à trois acteurs différents pour encourager à un meilleur respect de ces précautions d'emploi.

  1. L'Agence s'adresse d'abord aux vétérinaires et aux pharmaciens pour leur demander de bien rappeler ces précautions aux utilisateurs de ces APE vendus avec ou sans ordonnance, chez eux sont disponibles sans ordonnance.
  2. Pour les APE en vente libre vendus hors du circuit pharmaceutique, l'Agence recommande aux utilisateurs de mieux lire les précautions d'emploi des notices et des étiquetages, voire de consulter les RCP de ces médicaments sur le site iRCP de l'ANMV.
  3. Enfin, elle demande aussi aux laboratoires de communiquer davantage sur la dangerosité de leurs produits et les précautions associées afin d'inciter au port de gant, de ne pas caresser l'animal traite, ni de laisser dormir avec les enfants après le traitement. L'Anses leur suggère des affiches sur ce thème dans les salles d'attente.

Pour toutes les catégories pesticides, compte tenu de leur toxicité pour l'environnement (par exemple les insectes ou les poissons), l'Anses recommande que les déchets et les reliquats périmés ou non utilisés soient ramenés en déchetteries (ou dans un autre circuit spécifique) plutôt que de les jeter dans les ordures ménagères.