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20 septembre 2018

En France, le recours à l'antibiogramme, encore « rare en bovine et équine »

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

Une enquête auprès de vétérinaires praticiens français, utilisant les méthodes et outils de la sociologie, s'est concentrée sur leur perception de l'antibiogramme et de son rôle potentiel en santé publique, en lien avec la réduction des usages antibiotiques (cliché : Gille Uwe, wikimedia).
Une enquête auprès de vétérinaires praticiens français, utilisant les méthodes et outils de la sociologie, s'est concentrée sur leur perception de l'antibiogramme et de son rôle potentiel en santé publique, en lien avec la réduction des usages antibiotiques (cliché : Gille Uwe, wikimedia).
 

Quand la sociologie rencontre l'épidémiologie, elle permet d'expliquer le processus de décision sur le recours aux antibiogrammes – et il est compliqué puisque 11 catégories de facteurs l'influencent, de manières parfois diverses selon que le praticien exerce en aviaire, porcine, bovine ou équine. C'est ce qui ressort d'une étude française (Anses-Inra-Cnrs-Ensv) basée sur des entretiens semi-directifs auprès de 66 praticiens, conduits fin 2016.

Trois volets

L'objectif princeps de l'étude était d'avoir une meilleure compréhension des motivations des vétérinaires et de l'influence des différentes parties prenantes sur la décision de réaliser un antibiogramme. L'étude qualitative (fondée sur des entretiens semi-directifs) a été réalisée auprès de 66 vétérinaires exerçant en médecine aviaire, porcine, bovine ou équine et dans l'une des régions suivantes : Bretagne, Normandie, Pays-de-la-Loire, Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes. Trois volets ont été abordés dans les entretiens : la perception des antibiogrammes par les vétérinaires ; les facteurs influençant la décision du vétérinaire de recourir à un antibiogramme (ABG) et l'impact du décret sur la prescription des antibiotiques critiques et la posture du vétérinaire.

Utile, mais…

Sur le premier point (perception des antibiogrammes), les répondants sont unanimes sur l'utilité et la fonction de cet examen complémentaire. Ils reconnaissent d'ailleurs tous « l'utiliser comme un outil pédagogique par lequel ils peuvent expliquer l'approche clinique à leurs clients ». Ils soulignent la différence de rôle des examens complémentaires selon qu'il s'agit de médecine individuelle ou de populations. Dans ce dernier cas, le bénéfice économique attendu (meilleur diagnostic et efficacité du traitement) est évident et le coût de l'analyse n'est pas un frein. Pour la médecine individuelle (équine, bovine), le potentiel génétique, la carrière et la valeur de l'animal entrent en ligne de compte dans la décision, qui est au final « plus rare ». Le recours à l'ABG « dépend du type de vétérinaire [de terrain, clinicien ou spécialiste], de leur client et des installations ». Ainsi, en équine, le praticien exerçant dans une structure recevant des référés aura systématiquement recours à l'ABG puisqu'il fait partie du motif de consultation (mettre en œuvre des moyens diagnostiques). En buiâtrie, « il est surtout utilisé pour les maladies de troupeau comme les mammites et les infections néonatales », mais n'est pas réalisé en routine par les vétérinaires qui font de la bactériologie dans leur structure, au motif qu'ils connaissent les profils de résistance des pathogènes dominants dans leur clientèle.

Outils de sensibilisation… et garantie

Dans les deux médecines (bovine et équine), il est prescrit « comme guide pour un traitement de seconde intention, est sera suivi d'un traitement antibiotique ». Il permet aussi « d'attirer l'attention sur l'antibiorésistance » et de convaincre le client « d'adopter de nouvelles mesures, préventives ». Cet effet est lié à la perception par le client que « l'antibiogramme est impartial et provient de l'extérieur du point de vue vétérinaire ». Ce qui permet d'argumenter face, par exemple, à la demande de changer d'antibiotique en cours de traitement. En équine, il représente aussi pour le vétérinaire une garantie « de l'approche clinique, en cas de conflit ultérieur ». Mais il reste que son « bénéfice sur le contrôle de l'antibiorésistance reste sous-estimé » par les praticiens.

Coût et délai

Sur le deuxième point (facteurs influençant la décision de recourir à un antibiogramme), les auteurs ont « identifié 46 facteurs, répartis en 11 catégories ». Celles-ci sont : la réglementation, la durée de l'analyse, l'espèce bactérienne, l'affection, le troupeau, le client, le vétérinaire (son âge n'a pas d'influence), la saison (citée par les seuls vétérinaires bovins pour le début de la saison de vêlage), le laboratoire d'analyses, l'échantillon et l'espèce animale. En bovins et équins, le vétérinaire propose et l'éleveur/propriétaire accepte…et paie. Mais dans tous les cas, « ce sont les arguments et directives du vétérinaire qui sont cruciaux dans la décision finale du client ». Seuls quelques praticiens bovins et équins citent des refus par le client, motivés par le coût, les amenant à ne plus proposer d'ABG. Ce qu'ils avouent trouver « frustrant ». Autre aspect négatif : le délai d'obtention du résultat, en lien avec l'absence de laboratoire d'analyse dans leur structure d'exercice. Le fait de réaliser et acheminer un prélèvement peut être aussi dissuasif – quand le sujet est au champ. En bovine, 15 des 20 praticiens interrogés estiment que l'automédication « pratiquée par l'éleveur limite la possibilité d'examens complémentaires en bactériologie ». Les vétérinaires bovins « ont plus l'habitude de se focaliser sur la prévention, les soins aux animaux et à rechercher des alternatives aux antibiotiques » que les équins. Enfin, en équine et bovine, la relation avec le laboratoire d'analyse est mentionnée comme pouvant être délicate et jouera alors négativement sur le recours à l'ABG. En particulier, outre l'expertise du laboratoire, c'est la disponibilité de l'interlocuteur qui paraît cruciale aux répondants, et sa capacité à aller au-delà du résultat sur la sensibilité (en particulier pour les ruraux). Les auteurs suggèrent une place pour de la formation continue des praticiens sur cet aspect. Quant aux habitudes des cliniciens, l'analyse des réponses montre que « les jeunes vétérinaires adaptent leur pratique à celle de leurs aînés », avec l'apparent paradoxe que « les jeunes générations sont plus conscientes de la nécessité des ABG ».

Uniformisation des pratiques

Sur le dernier point (impact du “nouveau” décret sur les antibiotiques critiques), il n'y a pas eu d'augmentation du recours à l'ABG, ni des échecs de traitement (perçus par les répondants). En revanche, il a « modifié leurs prescriptions », et est « bien accepté ». Les praticiens apprécient aussi qu'il permette d'uniformiser les pratiques : « même si l'éleveur va chez un confrère, il aura la même réponse » sur l'usage d'antibiotique critique. En médecine bovine, « il faut distinguer les vétérinaires qui, avant le décret, utilisaient des antibiotiques critiques plus de 50 % du temps et ceux qui les utilisaient rarement ». Ce sont – logiquement – les premiers qui ont changé leurs pratiques. Tous mentionnent que ce décret était attendu et que cela leur avait permis de s'adapter et de l'expliquer à leurs clients par anticipation. Plus largement, les praticiens expliquent que ce décret « a été l'occasion de changer d'habitudes et de méthode de travail, dans le contexte d'un changement de paradigme », déplaçant les interventions « vers une approche plus préventive, dans tous les secteurs » enquêtés.

Bactériologie au cabinet

Ainsi, le processus de décision du recours à l'ABG est multifactoriel et ses ressorts sont différents selon les secteurs d'activité. Les auteurs précisent que la majorité des praticiens de l'enquête exerçant en production laitière réalisent la bactériologie au sein de leur structure. Ce qui, en tant que « nouveau service » leur paraît « particulièrement pertinent dans un contexte où le revenu de la vente des médicaments est en recul en lien avec la nouvelle réglementation et menace la continuité de leur activité ».

Pour ce travail, les participants ont été tirés au sort dans l'Annuaire Roy à partir de l'activité dominante et des régions présélectionnées. L'anonymat de leur participation a été préservé. Les entretiens ont le plus souvent été réalisés sur le site d'exercice (un vétérinaire par structure), toujours en face à face et conduits par la même enquêtrice, premier auteur de la publication. Ils ont été réalisés entre octobre et décembre 2016. A quelques minutes près, ils ont duré une heure, quelle que soit la spécialité. Les vétérinaires bovins (n=20) et équins (n =10) étaient les plus représentés (avec 11 avicoles et 16 porcins). Les entretiens étaient enregistrés et ont été retranscrits ; il comportait 22 questions, qui débutaient toujours par “pouvez-vous décrire le procédé du recours à un antibiogramme ?”.