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16 septembre 2022

Concernés par la maltraitance animale, les vétérinaires manquent de confiance en eux au moment d'intervenir

par Corinne Descours-Renvier

Temps de lecture  5 min

L'identification des cas de maltraitance animale repose sur une combinaison de différents facteurs, dont la nature des blessures de l'animal et l'expérience du praticien dans ce domaine. Crédit Alexander Kuzmin
L'identification des cas de maltraitance animale repose sur une combinaison de différents facteurs, dont la nature des blessures de l'animal et l'expérience du praticien dans ce domaine. Crédit Alexander Kuzmin
 

Une étude parue en août dernier dans VetRecord aborde la maltraitance animale du point de vue des vétérinaires. En 2019, un groupe de chercheurs en psychologie de l'Université d'Édimbourg (Royaume-Uni) a recueilli en ligne les témoignages de 215 praticiens susceptibles d'avoir rencontré dans leur clientèle des cas de violences faites aux animaux.

Les vétérinaires étaient invités à préciser les formes de maltraitance auxquelles ils avaient été confrontés au cours des douze mois précédant l'enquête : blessures non accidentelles, abus sexuels, maltraitance émotionnelle, négligence…

C'était également pour eux l'occasion de partager les éventuelles difficultés qu'ils avaient rencontrées au moment de décider de signaler ou non un cas aux autorités compétentes.

Une étude réalisée en ligne auprès de 215 vétérinaires

Les 215 vétérinaires ayant accepté de répondre au questionnaire exercent quasiment tous au Royaume-Uni (185 participants). Seuls 12 d'entre eux sont issus d'un autre pays européen, 7 des États-Unis et 7 d'autres régions du monde. Quelques-uns n'ont pas souhaité préciser leur origine.

Les trois quarts des participants sont des femmes. L'âge médian au cours de l'enquête se situe entre 30 et 39 ans, avec 11 à 15 ans de pratique.

Plus de la moitié des praticiens confrontés à des cas de maltraitance animale

Au cours des douze mois précédant leur participation à l'enquête, 53 % des praticiens déclarent avoir été confrontés à un ou plusieurs cas de maltraitance animale et 9 % ont eu au moins des suspicions à cet égard. Les vétérinaires concernés ont déclaré de 1 à 200 cas de maltraitance chacun, soit 6,9 cas en moyenne.

Les praticiens qui ont observé le plus de cas travaillent soit dans des refuges, soit dans des cliniques indépendantes. Les praticiens exerçant dans des chaînes vétérinaires rencontrent beaucoup plus rarement ce type de violence.

Une majorité de négligences et de maltraitances physiques

Les animaux les plus souvent impliqués sont les chiens, les chats et les lapins, mais quelques vétérinaires décrivent des cas chez des chevaux et des NAC. Ces derniers faisant plus rarement l'objet d'une consultation, leur représentation parmi les animaux maltraités est sans doute sous-estimée.

Les praticiens observent surtout des cas de négligence (107 cas) et de maltraitances physiques :

  • Des blessures par arme à feu (85 cas),
  • Des contusions (82) et,
  • Des fractures (66).

Les auteurs de l'étude relèvent plus rarement :

  • Des lésions liées à l'administration de poison (30 cas),
  • Des abrasions (26),
  • Des traces de liens (25),
  • Des brûlures (22),
  • Des hémorragies (20),
  • Des coupures profondes (17),
  • La présence de corps étrangers (16),
  • Des séquelles d'aspersion avec des liquides bouillants (16),
  • Des lacérations (14),
  • Des coups de couteau (14),
  • Des entorses (7)…

La négligence responsable de davantage de décès que les violences physiques

Les vétérinaires participant à l'étude pouvaient également partager les cas les plus marquants rencontrés au cours de leur carrière. Au total, nos confrères et consœurs ont retenu 363 histoires qui leur tenaient particulièrement à cœur, dont 50 se terminaient par le décès de l'animal en raison de ses lésions et 86 par son euthanasie.

Sans doute plus marquante pour les personnes qui en sont témoins, la maltraitance physique est plus souvent rapportée ici que la négligence. Cette dernière est pourtant responsable de 60 % des décès constatés dans l'étude !

Identifier les violences faites aux animaux, un challenge pour le vétérinaire

En pratique, l'identification des cas de maltraitance est loin d'être évidente. Elle repose en effet sur une combinaison de différents facteurs, dont la nature des blessures de l'animal et l'expérience du praticien dans ce domaine.

Pour poser un diagnostic de maltraitance, les éléments les plus utilisés par les vétérinaires participants à l'étude sont :

  • La nature des blessures (27,7 % des cas),
  • La présence de témoins (10,3 %),
  • L'incohérence des explications des propriétaires (9,9 %),
  • Voire l'absence totale de justifications (8,2 %) et,
  • L'observation de comportements anormaux de leur part (7,7 %).

Plus rarement, ce sont la récurrence des faits, le comportement craintif de l'animal ou encore la présence de fractures anciennes qui ont attiré l'attention des praticiens.

Les auteurs des maltraitances, lorsqu'ils ont pu être identifiés, sont majoritairement des hommes adultes, mais dans 15 cas, des enfants ou des adolescents ont été mis en cause.

Les praticiens ont relayé leurs observations dans 80 % des cas

Dans 80 % des cas, les praticiens ont fait part de leurs suspicions soit à un autre vétérinaire (29,8 %), soit à une association de protection animale (28,7 %). Seuls 10,7 % d'entre eux se sont directement adressés à la police et 2,1 % aux services sociaux.

Les cas aboutissant au décès de l'animal ont été statistiquement plus souvent signalés que les autres.

Quels facteurs interviennent dans la décision de signaler ou non un cas ?

Les auteurs de l'étude ont identifié les principaux freins au signalement des cas de maltraitance animale par les vétérinaires :

  • Peur de briser la confidentialité des dossiers (69 % des cas),
  • Craintes pour la sécurité de l'animal (62 %),
  • Appréhensions à l'idée de déclencher un litige (52 %),
  • Méconnaissance des ressources disponibles (54 %) ou des critères d'identification de la maltraitance animale (54 %),
  • Impression que le signalement n'aura aucun effet (47 %),
  • Difficultés à interpréter les informations fournies par le maître (47 %),
  • Peur de perdre des clients (42 %),
  • Craintes pour la sécurité du vétérinaire lui-même (35 %)…

Les vétérinaires ont besoin de plus soutien dans ce domaine

Les auteurs de l'étude constatent que les vétérinaires manquent souvent de confiance en eux pour gérer les cas de maltraitance animale. Cela est d'autant plus regrettable que ces situations peuvent avoir un impact sur la santé et le bien-être des praticiens eux-mêmes. Les participants déplorent en particulier un manque de formation dans ce domaine de la part des écoles vétérinaires et décrivent leurs difficultés à identifier les ressources qui pourraient leur être utiles.

L'article conclut sur la nécessité d'apporter une aide extérieure aux praticiens. En raison du lien fréquemment constaté entre violences animale et familiale, il semble particulièrement intéressant de développer la collaboration entre professionnels de la santé humaine et de la santé animale, pour lutter conjointement contre toutes les formes de maltraitance.

En France, l'Association contre la maltraitance animale et humaine

En France, l'Association contre la maltraitance animale et humaine (AMAH) réunit déjà des vétérinaires, des professionnels de santé, des juristes, etc. Sur son site (www.amah-asso.org), elle met à la disposition des praticiens de nombreuses ressources dont un guide pratique et des modèles de documents à télécharger.

En particulier, ce site publie un formulaire pour aider les vétérinaires à signaler à la DDPP ou au procureur de la république des actes graves de maltraitance animale constatés dans le cadre de leur exercice professionnel.