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3 décembre 2021

L'Australie innove pour poursuivre l'élimination des espèces domestiques importées, devenues invasives

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

Le grand billby est un petit marsupial australien de la liste rouge de l'UICN, avec 9 000 sujets recensés. Pour sa protection, un projet de original vient de démarrer : l'implantation d'une “puce” empoisonnée, qui ne “s'activera” que si le marsupial est consommé par un chat ou un renard (cliché université d'Australie méridionale, dessin de Gould, wikimedia).
Le grand billby est un petit marsupial australien de la liste rouge de l'UICN, avec 9 000 sujets recensés. Pour sa protection, un projet de original vient de démarrer : l'implantation d'une “puce” empoisonnée, qui ne “s'activera” que si le marsupial est consommé par un chat ou un renard (cliché université d'Australie méridionale, dessin de Gould, wikimedia).
 

Après l'annonce en 2015 de l'abattage de 2 millions de chats errants, dès lors officiellement déclarés nuisibles, après la construction de 44 km de clôture anti-chats autour de la réserve de Newhaven (au centre du pays), après un projet de lâchers de chats OGM ne donnant naissance qu'à des mâles, une nouvelle stratégie vient de démarrer pour mieux protéger de ces prédateurs les petits mammifères autochtones australiens : l'empoisonnement programmé.

Bilby, bettong, quoll…

En Australie, la prédation par les chats redevenus sauvages (harets) est estimée à 815 millions de mammifères par an, dont les espèces autochtones menacées, le bilby (Macrotis lagotis) en étant l'un des représentants emblématiques. Classé vulnérable, ce petit marsupial à trompe et longues oreilles (voir l'illustration principale) est classé vulnérable dans la liste rouge de l'UICN, qui en recense 9 000 individus. Outre le bilby, ce sont 100 espèces de mammifères qui sont menacées par cette prédation, indique le ministère australien de l'environnement. Parmi elles, les bettongs (Bettongia sp. regroupe 4 espèces marsupiales, ayant une morphologie proche de celle du lérot) et le quoll (Dasyurus sp. regroupe aussi 4 espèces, un petit carnivore tacheté pouvant atteindre la taille d'un petit chat) sont aussi concernés. Les autorités australiennes attribuent aux carnivores introduits l'extinction de 27 espèces de mammifères autochtones. Car outre les chats harets, « présents sur 99 % du territoire australien », le renard roux est également présent. Et ces deux espèces, quand elles ne consomment pas les quolls, sont en compétition pour leurs proies.

Répartition et densité des populations de chats harets en Australie (Australian Department of Agriculture, Water and Environment). Le cliché montre un chat haret avec petit mammifère dans sa gueule (cliché : université d'Australie méridionale).

 

Question de pH

Pour protéger cette population, les chercheurs de l'Applied Chemistry and Translational Biomaterials groupe de l'université d'Australie méridionale ont développé un implant de la taille d'un transpondeur, à placer sous la peau des bilbys. Au pH sous-cutané (stable à 7,4), l'enrobage de l'implant reste inerte. Si l'animal est tué et consommé par un chat, le pH gastrique de ce dernier délite l'enrobage (cela se produit à pH<4) et libère un poison fatal au chat. L'originalité de l'approche est dans le choix du poison : baptisé « composé 1080 » ou monofluoroacétate de sodium, analogue de composés de plantes du bush australien. « Les espèces autochtones ayant co-évolué avec la flore australienne, sont naturellement résistantes à ce toxique » précise Kyle Brewer, étudiant en PhD travaillant sur ce projet. Ce qui limiterait l'impact sur la faune autochtone d'une prédation ou d'une consommation de cadavre.

30 implantés

L'invention, baptisée « Population Protecting Implant » (PPI), a été développée avec un physiologistes de l'école de sciences vétérinaires de l'université d'Adélaïde, d'écologues d'une réserve (Arid Recovery) et avec des partenaires privés (Ecological Horizons et Peacock Bio-Science). La solution du PPI est liée au fait que les autres mesures pour éliminer les chats « ont eu un succès limité, rendant presque impossible de restaurer des populations d'espèces autochtones menacées à l'extérieur de zones clôturées ». Elle impose de capturer les sujets des espèces à protéger et à leur administrer l'implant avant de les relâcher dans leur environnement naturel. Actuellement, 30 bilbys ont été implantés avec un PPI, dans une réserve de faune autochtone de 123 km2 située au nord de l'état d'Australie méridionale. Le PhD de Kyle Brewer permettra d'évaluer l'efficacité de ce mode de protection.

Curiosity killed the cat

Plusieurs autres projets sont à l'œuvre en Australie, en particulier 5,9 millions de dollars australiens (3,7 millions d'euro) ont été attribués au développement d'appâts empoisonnés pour le piégeage des chats harets. Cela a donné Curiosity® (nom de marque de l'appât, lié au proverbe anglais ‘curiosity killed the cat'). Il s'agit « d'une petite saucisse à base de viande, contenant un petit comprimé plastique dur encapsulant une toxine tuant de manière humaine », la para-aminopropiophénone (agent méthémoglobinisant qui tue les chats « en quelques minutes à quelques heures »). Le plastique dur du comprimé est adapté à la carnassière des chats, qui le perce en mâchant, alors que « la majorité de la faune autochtone va mordiller l'appât, mais plus probablement rejeter le comprimé » sans l'avoir ponctionné, explique le gouvernement australien. Il est enregistré comme biocide, au même titre que les rodenticides. Un autre appât, comparable dans sa forme mais pas dans l'enrobage du poison, a été développé, contenant le même composé que le PPI (le “1080”) : Eradicat®. Il n'est disponible qu'en Australie occidentale, région où les plantes comportant ce composé sont naturellement présentes (et donc la faune particulièrement tolérante). Toutefois, « dans certaines parties du pays, ces [deux appâts] peuvent représenter un risque significatif pour la faune sauvage ». Aussi, un troisième type d'appât est encore en développement, « pour minimiser ce risque » : Hisstory® (de ‘to hiss', feuler). Il s'agit de la même “galénique” que le Curiosity®, mais avec du 1080 comme poison. Il s'agit là de protéger des varans du nord de l'Australie, « sensibles à la para-aminopropiophénone, mais tolérants à une dose de 1080 pouvant tuer un chat ».

L'appât empoisonné Curiosity®, ici à gauche, contient un comprimé plastique devant être crevé par la carnassière du chat pour libérer le poison. Le Felixer® Grooming trap attire les carnivores au son, les prend en photo et n'envoie un gel empoisonné qu'aux chats et renards. Clichés : à gauche, Australian Department of Agriculture, Water and Environment ; à droite Thylation).

 

Chat flashé par IA

Avant-dernier né de ces outils (depuis le PPI), le flash à chats harets, baptisé Felixer® Grooming trap, est une machine automatique posée au sol, qui attire à sa proximité immédiate les animaux en émettant des sons appropriés. Le Felixer® détecte la présence de l'animal, le prend en photo et analyse la photo : s'il s'agit d'un chat ou d'un renard, il expulse sur le pelage de l'animal un gel empoisonné au 1080. C'est en se léchant pour se débarrasser du gel (‘grooming' désigne le toilettage du chat) que le carnivore cible va s'empoisonner. Les autres animaux sont bien “flashés”, mais ne reçoivent pas de gel. Le Felixer® a des panneaux solaires lui permettant une longue autonomie est comprend 20 cartouches de gel. « Il se recharge automatiquement après avoir fait feu ». Sa commercialisation bénéficie du soutien du gouvernement australien, avec une enveloppe de 1,2 m$ (750 000 €) attribuée début 2020 et le déploiement de ces machines doit faire l'objet d'une autorisation préalable au titre de la recherche. Le fabriquant souligne qu'à la saison de naissance des dingos, les machines doivent être inactivées car un jeune sera reconnu comme espèce cible.

10 ou 14 000 chevaux ?

Le chat et le renard ne sont pas les seules espèces introduites devenues invasives. Dans le Kosciuszko National Park, qui contient le point culminant du pays, au fond de la Nouvelle-Galles du sud, c'est une autre espèce domestique retournée à la vie sauvage qui pose problème : le cheval. Un projet publié par les autorités fin octobre dernier envisage de surtout abattre et de déplacer au total 10 000 des chevaux qui y prospèrent. Les effectifs de ces ‘brumbies' y sont estimés à 14 000 têtes considérées « s'y reproduire activement ». Ce faisant, elles mettent en danger ces zones humides ; le plan du gouvernement est d'en laisser 3 000 sur une partie du parc naturel. Mais pour 69 membres de l'académie australienne des sciences, ce projet est encore trop timide. Dans une lettre ouverte au gouvernement de Nouvelle-Galles du sud publiée fin octobre, ils estiment que laisser 3 000 chevaux sur place est excessif. « Il faut [en] retirer la totalité » sans en laisser une partie confinée sur une zone de ce parc naturel. Et, recommandent-ils, le faire « par toutes les méthodes appropriées et disponibles qui sont conformes au bien-être animal » dans le cadre « d'une supervision scientifique et de recherche ». Car « ces terrains ne peuvent pas se remettre à la fois de la sécheresse, des feux, et du surpâturage ». Début décembre, le projet du gouvernement n'était plus présenté sur son site web. Affaire à suivre…