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1er décembre 2021

Pratique rurale : des solutions pour un futur durable ?

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

Synthèse de l'interaction entre les thèmes et les étapes identifiés pour valoriser le métier de praticien rural tout au long du ‘pipeline' de la formation des vétérinaires (Remnant, 2020).
Synthèse de l'interaction entre les thèmes et les étapes identifiés pour valoriser le métier de praticien rural tout au long du ‘pipeline' de la formation des vétérinaires (Remnant, 2020).
 

Pour retenir les jeunes vétos dans les cabinets de rurale ? Quatre solutions sont à appliquer ensemble. C'est du moins ce que prône John Remnant (Bristol, 2008), l'auteur d'un rapport subentionné par une fondation (le Trehane Trust, http://www.trehanetrust.org.uk/) sur la durabilité du métier de vétérinaire en productions animales. Pour ce spécialiste en médecine bovine, clinicien à l'université de Nottingham, il faudrait « des efforts ciblés sur les étapes clés de la filière de formation initiale : 1. une sensibilisation depuis et l'admission dans les écoles vétérinaires ; 2. Des écoles vétérinaires fournissant formant et inspirant leurs étudiants ; 3. le recrutement et le maintien de vétérinaires dans des clientèles rurales et 4. garantir aux agriculteurs des services dont ils ont besoin, de la part d'entreprises vétérinaires durables ».

Pipeline vétérinaire

Au premier coup d'œil, cela ressemble à une compilation de ‘yaka-fokon', mais John Remnant est plus subtil : « il n'y a pas de solution miracle face au défi auquel nous sommes confrontés », qu'il a retrouvé « dans tous les pays enquêtés » pour ce rapport, écrivait-il en novembre dernier dans un court article résumant les possibles mises en œuvre de ces solutions. Il explique qu'il faudrait plutôt « appliquer de nombreuses petites améliorations à toutes les étapes du pipeline des vétérinaires ruraux. Avant, pendant et après les études ». Et à chacune des 4 étapes clé identifiées, correspondent aussi 7 thèmes généralistes, qu'il détaille dans ce même article, et rassemble dans un tableau de… 28 cases (voir l'illustration principale).

Bien-être, durabilité

Sur les valeurs, le premier de ces thèmes, John Remnant n'invente rien : « le rôle du vétérinaire de productions animales est de maintenir et d'améliorer les productions animales, d'améliorer la durabilité de l'agriculture et de contribuer à la production d'aliments sains et bon marché ». Ce qui est en phase avec les aspirations « de beaucoup de jeunes gens qu'il s'agisse du bien-être ou du réchauffement climatique ».  Pourtant, « nous ne sommes pas bons à le transmettre aux élèves [dans le système scolaire] ni aux étudiants vétérinaires », estime-t-il. Il faudrait pourtant « mettre en scène notre contribution à la société, pour les inspirer » et les attirer vers ce métier. En même temps, pour que des praticiens viennent témoigner de leur implication sur ces thématiques, il faut « qu'ils aient la possibilité, dans leur exercice, de réaliser des tâches qui soient en phase avec leurs valeurs [plutôt que] réaliser des tuberculinations ou des écornages qui, s'ils sont appréciés par certains, peuvent être perçus comme moins gratifiants par d'autres ».

Mettre en scène

Pour ce qui est de l'inclusivité, John Remnant souligne qu'il n'est « pas assez fait [au moins outre-Manche] pour que les personnes n'ayant pas une origine agricole se sentent bienvenus dans ce secteur », même quand leur école leur permet de réaliser de telles expériences. « Des vétérinaires en exercice m'ont aussi confié de telles expériences ». Sur l'inclusion toujours, la variété des métiers des productions animales devrait aussi être présentée précocement dans le cursus. « Nous devrions faire plus de mise en scène de tous les aspects du travail que nous faisons », poursuit-il.

Urgences, incohérence, contrats…

L'épine de la « flexibilité au travail » vient au troisième rang des thèmes identifiés dans le rapport. Elle est distinguée, un peu artificiellement des « longues journées » en lien avec les astreintes. Les urgences sont « hautement appréciées des éleveurs », mais ont un coût personnel pour les vétérinaires qui est « en incohérence avec le niveau de revenu généré par ce travail ». Plusieurs « alternatives » sont envisagées, sans évoquer la continuité des soins. Au contraire, le rapporteur propose d'imposer un montant minimal de dépenses de l'exploitation auprès de sa structure vétérinaire pour avoir accès au service d'urgences, ou « une contractualisation du service ». La problématique des déserts vétérinaires est d'emblée associée à une implication des pouvoirs publics dans l'équation du coût. Dans tous les cas, l'image du vétérinaire rural souffre de celle de ses conditions de travail, et « il faudrait pouvoir insister auprès des étudiants sur le fait que nos clients nous voient plus souvent aux heures de bureau que le week-end ». Mais là encore le rapporteur fait le grand écart, en reconnaissant que, pour que de jeunes diplômés restent dans une structure d'exercice rural, « il faut lui aménager du temps partiel, de la flexibilité et un environnement de travail convivial ». Dans le rapport, il souligne encore plus clairement : « le travail à temps partiel peut et doit être plus largement accepté dans les cabinets vétérinaires pour animaux d'élevage ». Quitte à « partager la charge [de travail] avec les paraprofessionnels ».

Collaborer, déléguer, plan B

Car l'un des aspects mis en avant est le besoin de « collaborations », et de délégation de tâches. Sur la collaboration, il inclut les pareurs, les nutritionnistes… Quitte à les recruter. « L'élargissement de l'équipe du cabinet vétérinaire à d'autres professionnels peut renforcer l'offre aux clients ». Sur le fait de déléguer et dans le contexte britannique, il cite « les tuberculinations, l'écornage et même les examens liés à la reproduction », pour que le « vétérinaire se concentre sur le travail en lien avec ses valeurs ». Il souligne l'importance de cet aspect aux yeux des jeunes diplômés, permettant alors « de se décharger d'une partie de la charge de travail », mais aussi de leur offrir un panorama d'autres métiers des production animales, « de manière à ce qu'ils n'aient pas en tête que le plan B de la canine ». Il va même jusqu'à espérer que cela puisse aider à limiter les « problèmes de recrutement et de rétention » de jeunes diplômés.

Santé du troupeau

Assumer la médecine de troupeaux comme une médecine des populations, forcément attractive pour de jeunes praticiens est un autre des thèmes mise en avant à tous les stades du “pipeline” vétérinaire. D'autant que ce travail focalisé sur la prévention « se déroule pendant les heures ouvrables et souvent sur rendez-vous, convenant à un exercice à temps partiel »… Conscient que le travail de routine génère une part significative du revenu des cabinets ruraux plutôt que les activités de suivi, John Remnant prévient qu'il ne faut pas pour autant « avoir une répulsion au changement », alors que le suivi « est en phase avec les valeurs des jeunes générations, aussi nous devrions encourager leur penchant à s'investir dans cet aspect » du métier, indique-t-il dans le court article. Dans le rapport, il est plus direct : « ce changement doit être accepté ».

Technologies du 2.0

Dernier point, et non des moindres tant il est prisé des jeunes générations, celui des technologies, et en particulier celles associées à l'agriculture 2.0. Pour lui, elles « faciliteront, voire nécessiteront, nombre des changements » déjà évoqués. Si elles « peuvent faciliter l'accès aux services des vétérinaires » et réduire certains déplacements lors de gardes, elles peuvent aussi « remplacer des tâches vétérinaires manuelles, [ce qui] présente également un risque pour la durabilité » du métier. « Il est [donc] essentiel de former les vétérinaires à travailler avec ces technologies ». Par exemple, « une surveillance en ligne des taux de progestérone d'une vache peut rendre obsolète le diagnostic de gestation » lié à une visite, et « laisser le suivi de reproduction pendre une forme indépendante de ce travail de routine ». Ce qui permet aussi de présenter le métier à des étudiants sois un angle “high-tech”, séduisant. Quitte à le… mettre en scène.