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16 septembre 2021

Des eurodéputés veulent interdire aux vétos les antibiotiques critiques prioritaires pour l'homme, quinolones, céphalosporines C3G, macrolides, colistine

par Eric Vandaële

Temps de lecture  7 min

Une tribune vétérinaire dans Le Monde
À la page 28 du quotidien Le Monde du jeudi 9 septembre, un collectif d'organisations vétérinaires, ordre, syndicats, organismes techniques appellent à s'opposer à la résolution des eurodéputés qui réduiraient significativement leur arsenal thérapeutique. Sur la même page, un autre collectif d'associations de protection animale appelle à l'adoption de la loi contre la maltraitance animale qui sera examinée au Sénat les 30 septembre et 1er octobre.
Une tribune vétérinaire dans Le Monde
À la page 28 du quotidien Le Monde du jeudi 9 septembre, un collectif d'organisations vétérinaires, ordre, syndicats, organismes techniques appellent à s'opposer à la résolution des eurodéputés qui réduiraient significativement leur arsenal thérapeutique. Sur la même page, un autre collectif d'associations de protection animale appelle à l'adoption de la loi contre la maltraitance animale qui sera examinée au Sénat les 30 septembre et 1er octobre.
 

Sur quels critères devrait-on réserver certains antibiotiques à l'usage humain et, par conséquent les interdire de tout usage chez les animaux ? Et au final, quels seront les antibiotiques interdits chez les animaux dont les AMM vétérinaire seront retirées au 28 janvier 2022 ? La colistine ? Les céphalosporines de dernières générations ? Les quinolones ? Les macrolides ?

Hier soir vers 21 heures, le Parlement européen a voté sur une résolution importante pour définir ces critères à partir desquels la liste des classes d'antibiotiques « réservés à l'usage humain » sera fixée. Le résultat de ce vote nominatif ne sera connu qu'aujourd'hui dans la journée. À l'heure où nous publions ce Fil, le résultat n'est pas encore connu.

Adoptée par la commission Envi (environnement, santé publique et sécurité alimentaire) du Parlement européen le 6 juillet dernier, cette résolution demande de rejeter la proposition de la Commission européenne qui fixe les trois critères qui devraient amener à réserver certains antibiotiques à l'usage humain.

Des antibiotiques humains interdits même dans le cadre de la cascade

Applicable au 28 janvier 2022, le règlement médicament vétérinaire 2019/6 prévoit, dans son article 37, que certains antibiotiques soient exclusivement réservés à la médecine humaine. Cela revient donc à les interdire de tout usage vétérinaire chez les animaux, y compris dans le cadre de la cascade pour des traitements curatifs individuels sur des animaux de compagnie. Cette interdiction s'appliquera aussi, dès le 28 janvier 2022, aux importations des animaux ou de produits animaux depuis des pays tiers.

Ce texte prévoit de définir d'abord les critères des antibiotiques « réservés à la médecine humaine » avant le 28 septembre 2021 par un règlement délégué préparé par la Commission européenne et qui doit être approuvé par le Parlement européen. Le vote d'hier soir au Parlement européen ne porte que sur ces critères.

Puis une fois les critères fixés, la Commission préparera un acte d'exécution pour liste les antibiotiques visés par ces critères avant le 28 janvier 2022.

Trois critères « one health » de santé humaine et animale

Dans son projet de critères, la Commission européenne s'appuie sur un avis de l'Agence européenne du médicament. Elle propose donc trois critères cumulatifs pour réserver un antibiotique à la médecine humaine et l'interdire chez animaux. Un antibiotique ne serait interdit que s'il répond à la fois à ces trois critères.

1. La santé humaine. Un antibiotique critique pour la médecine humaine

L'antibiotique interdit chez les animaux devrait être d'importance majeure pour la santé humaine : un antibiotique (critique) de dernier recours, pour traiter des infections graves, voire mortelles chez l'homme avec peu d'alternatives…

Ce premier critère peut correspondre à la liste OMS des antibiotiques critiques pour la médecine humaine. Ce premier critère pourrait ainsi concerner un grand nombre de classes d'antibiotiques vétérinaires à l'exception des tétracyclines, des sulfamides (avec ou sans triméthoprime) et de la céfalexine…

La proposition de résolution du Parlement européen ne s'oppose donc pas à ce premier critère assez large.

2. Une transmission prouvée des résistances d'origine animale à l'homme

Avant d'interdire des antibiotiques qui ont une AMM vétérinaire, la transmission d'un germe ou d'un gène de résistance d'origine animale à l'homme devrait être importante et surtout prouvée par des données scientifiques, épidémiologiques le cas échéant. En d'autres termes, il devrait être prouvé que l'usage de ces antibiotiques chez les animaux augmente la résistance chez l'homme par différents mécanismes (résistance croisée, cosélection…).

La proposition de résolution des eurodéputés estime que ce critère est beaucoup trop restrictif. Pour les eurodéputés qui la soutiennent, un lien potentiel, même s'il n'est pas démontré, devrait être suffisant pour ce second critère.

La Commission européenne estime que le lien « potentiel » est suffisant seulement pour un antibiotique sans AMM vétérinaire. Dans ce cas, « les données scientifiques » pourraient être restreintes à la démonstration d'un « risque » d'émergence de résistance associé à une transmission « potentiellement » importante. Il serait ainsi plus facile d'interdire l'usage vétérinaire exceptionnel dans le cadre de la cascade des antibiotiques humains que des antibiotiques avec AMM vétérinaire où la transmission de la résistance devrait être bien prouvée et non pas seulement hypothétique ou « potentielle ».

3. Santé animale. Un antibiotique non essentiel à la santé animale

Un antibiotique ne pourrait être interdit chez les animaux que s'il n'existe « aucune preuve solide » de sa nécessité en médecine vétérinaire. Si cet antibiotique est indiqué pour traiter des infections graves chez les animaux, il ne pourrait être interdit que s'il existe déjà des alternatives thérapeutiques. À moins que cette interdiction chez les animaux réponde à un intérêt supérieur de santé publique.

Ce troisième critère vétérinaire ne permettrait donc pas de réserver à la médecine humaine des antibiotiques essentiels pour la santé animale, même s'ils sont classés parmi les antibiotiques critiques les plus prioritaires pour la santé humaine selon l'OMS.

Dans leur résolution, les eurodéputés s'opposent à ce troisième critère qui place presque au même niveau la santé animale et la santé humaine.

Les vétérinaires sont évidemment, à l'inverse, attachés au maintien de ce troisième critère essentiel pour la santé animale. Il doit permettre d'éviter que tous les antibiotiques critiques pour la santé humaine, visés au premier critère, soient interdits chez les animaux au détriment de la santé animale.

Une cascade rouverte aux antibiotiques réservés à l'usage humain

En contrepartie de la suppression du troisième critère « vétérinaire », la résolution des eurodéputés demande que l'article 37 du règlement 2019/6 soit modifié afin de ne pas interdire totalement, en dernier recours, dans le cadre de la cascade, l'usage vétérinaire exceptionnel de ces antibiotiques réservés à l'usage humain.

Pour ces eurodéputés, ces antibiotiques réservés à l'usage humain pourraient néanmoins être utilisés chez les animaux…

  • Dans le cadre de la cascade,
  • Seulement pour traiter individuellement en curatif des animaux malades d'une infection, grave ou potentiellement mortelle,
  • Lorsqu'il n'existe pas d'alternative,
  • Et en exigeant aussi un antibiogramme préalable au traitement.

Aujourd'hui, l'article 37 du règlement 2019/6 prévoit que les antibiotiques qui seront listés comme réservés à l'usage humain soient totalement interdits d'usage chez les animaux, y compris dans le cadre de la cascade.

Interdire d'emblée les antibiotiques critiques prioritaires selon l'OMS

La résolution du Parlement européen demande aussi que les antibiotiques critiques les plus prioritaires selon la classification de l'OMS soient « réservés à l'usage humain », avec, pour conséquence le retrait des AMM vétérinaires de ces antibiotiques. Cela correspond aujourd'hui aux cinq classes d'antibiotiques suivants.

  1. Les céphalosporines de dernières générations (C3G, C4G, C5G), soit, entre autres, le ceftiofur, la cefquinome, la céfopérazone et, pour les chiens et les chats, la céfovécine,
  2. Les quinolones et les fluoroquinolones, soit, entre autres, la marbofloxacine, l'enrofloxacine, l'orbifloxacine, la fluméquine, l'acide oxolinique…
  3. Les macrolides avec de nombreuses molécules avec AMM vétérinaires, spiramycine, tylosine, tylvalosine, tilmicosine, gamithromycine, tulathromycine, tildipirosine…
  4. Les polymyxines, avec surtout la colistine, la bacitracine et la polymyxine B,
  5. Les glycopeptides (aucune AMM vétérinaire).

Chacun balaie les critiques devant sa porte…

Dans ce contexte, la classification des antibiotiques critiques, susceptible d'être interdits ou pas, n'est pas facile à appréhender. Pour le praticien français, il existe au moins quatre classifications différentes des antibiotiques, notamment de ceux dits critiques.

  1. En France, le décret et l'arrêté des 16 et 18 mars 2016 interdisent ou restreignent l'usage de certains antibiotiques dit critiques, principalement les fluoroquinolones et les céphalosporines de dernières générations (C3G, C4G).
  2. L'OMS actualise régulièrement sa propre classification des antibiotiques humains en trois ou quatre niveaux : important, très importants, critiques et critiques prioritaires (voir le tableau ci-dessous, avec la dernière mise à jour de 2019),
  3. L'OIE, l'organisation mondiale de la santé animale, publie sa propre catégorisation pour les antibiotiques vétérinaires également à trois niveaux avec une mise à jour très récente (juin 2021),
  4. En Europe, l'Agence européenne du médicament (EMA), avec son groupe de travail AMEG, a aussi publié une nouvelle catégorisation mise à jour en décembre 2019 (publiée en janvier 2020) en quatre catégories : A (à éviter), B (à restreindre), C (avec précaution) et D (usage prudent).

Dans ces quatre catégorisations, la classification française de mars 2016 est la seule à ne pas avoir classé la colistine parmi les antibiotiques critiques ou avec des recommandations spécifiques pour en réduire l'usage. En revanche, dans ces quatre classifications, les céphalosporines de dernières générations et les fluoroquinolones sont toujours classées comme des antibiotiques critiques (ou « à restreindre »).

Tableau comparatif des antibiotiques critiques selon l'EMA, l'OMS (organisation mondiale de la santé) et l'OIE (organisation mondiale de la santé animale) et la France

Tableau LeFil.