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19 juillet 2021

Analyse bénéfice-risque du dispositif de surveillance mordeur

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Le dispositif de surveillance mordeur ne correspond plus à la situation épidémiologique de la rage en France, indemne depuis 2001. Une analyse bénéfice-risque montre que la façon dont il est appliqué par les praticiens fait plus sens pour la santé publique que s'il était déclenché pour toute morsure par un animal en apparente bonne santé (cliché Pixabay).
Le dispositif de surveillance mordeur ne correspond plus à la situation épidémiologique de la rage en France, indemne depuis 2001. Une analyse bénéfice-risque montre que la façon dont il est appliqué par les praticiens fait plus sens pour la santé publique que s'il était déclenché pour toute morsure par un animal en apparente bonne santé (cliché Pixabay).
 

En France, il y a plus de risque de décéder dans un accident de voiture lors des trajets relatifs aux visites vétérinaires de surveillance mordeur d'un chien ou chat en apparente bonne santé que de décéder de rage en lien avec cette morsure. Telle est la conclusion d'une analyse bénéfice-risque du dispositif de surveillance mordeur, effectuée par les épidémiologistes de l'ENV d'Alfort, de l'Institut Pasteur et de l'Anses-Malzéville et publiée à la mi-juillet.

Modérément acceptée

Depuis l'obtention du statut indemne de rage des mammifères non-volants en 2001, il y a eu 14 cas de rage animale sur le territoire métropolitain : 12 sur des animaux importés/revenant de régions d'enzootie rabique, et 2 secondaires à certains des précédents. La “surveillance mordeur” ne prend toutefois pas en compte le fait que, depuis l'obtention du statut indemne, « le niveau individuel de risque de l'animal d'avoir contracté la rage » et s'applique à toutes les morsures déclarées en DDPP. C'est une disposition qu'une thèse d'université consacrée au sujet et soutenue en 2019 a trouvé « nettement peu familière aux propriétaires d'animaux de compagnie et modérément acceptée par les vétérinaires ». Il « génère des efforts et consomme du temps pour les maîtres comme pour les vétérinaires, alors que la probabilité d'infection rabique reste faible pour la majorité des animaux mordeurs ».

Dispositifs alternatifs

D'autres pays européens présentant le même statut indemne que la France ont déjà assoupli leur dispositif : en Belgique et en Suisse, la surveillance mordeur d'un animal en apparente bonne santé ne s'applique que s'il a été importé récemment ou si la morsure a eu lieu dans une zone où de la rage des chiroptères a été signalée. Pour aider à améliorer cette réglementation en France, les auteurs ont donc réalisé une analyse bénéfice-risque, et pour cela ils ont comparé le dispositif actuel à trois scénarii alternatifs :

  • L'absence de surveillance mordeur (la personne mordue ne recherche un traitement prophylactique post-exposition que si l'animal mordeur présentait des signes de rage) ;
  • Une seule visite à J0 (peu après la morsure) et une surveillance de 10 jours par le maître, avec appel au terme de ce délai ;
  • Une surveillance graduée selon le niveau de risque, selon que l'animal a voyagé ou été importé hors de France sur l'année précédente, ou hors de l'UE, légalement ou non.

Les probabilités correspondantes ont été calculées à partir du nombre de cas de rage canine ou féline identifiés en métropole depuis 2001, du nombre de morsures estimé en France et la probabilité de décès sur la route par kilomètre parcouru en voiture en 2019 (elle est de 3,08 10-9) ramenée à la distance moyenne de deux cliniques vétérinaires.

Moins d'un cas par millénaire

Ainsi, les auteurs calculent que :

  • Pour les morsures de chiens, le nombre de décès humains de rage en l'absence de surveillance mordeur serait de 2,18 10-1 pour 1000 ans. La surveillance mordeurs actuelle réduit ce risque à 1,80 10-1 décès pour 1000 ans. Mais si le risque de décès par accident de la route est pris en compte, le dispositif actuel représente un risque de 15,90 10-1 pour 1000 ans (et de 5,66 10-1 pour 1000 ans lors de surveillance 10 jours).
  • Pour les morsures de chats, le nombre de décès humains de rage en l'absence de surveillance mordeur serait de 3,82 10-2 pour 1000 ans. La surveillance mordeurs actuelle réduit ce risque à 3,62 10-2 décès pour 1000 ans. Mais si le risque de décès par accident de la route est pris en compte, le dispositif actuel représente un risque de 18,65 10-2 pour 1000 ans (et de 6,52 10-1 pour 1000 ans lors de surveillance 10 jours).

Préjudiciable

Ainsi, le dispositif actuel « apparaît sur-protecteur et même préjudiciable, si l'on considère qu'il y a plus de décès générés par des accidents de la route qu'évités par la mise en place rapide d'une prophylaxie post-exposition ». Les auteurs calculent ainsi que, pour devenir bénéfique, le dispositif devrait s'appliquer dans un contexte de 94 cas annuels de rage canine et 154 cas annuels de rage féline, incompatible avec le statut indemne. Parmi les protocoles alternatifs, seul celui imposant les trois visites vétérinaires aux animaux à risque (récemment importés/revenant de zones non indemnes) « est le seul à tendre vers [un effet] bénéfique », en prenant compte le risque de décès lié au transport. « Il est intéressant de noter que c'est le protocole de surveillance largement appliqué par les vétérinaires français (bien qu'il ne soit pas observant de la réglementation), qui ont tendance à réaliser leur propre analyse de risque avant de lancer une surveillance mordeur ». Ainsi, « les résultats de cette étude pourraient permette de mettre à jour et optimiser la législation de gestion de la rage ».