titre_lefil
logo_elanco

15 juillet 2021

Résistance au clopidogrel chez les chats : la piste génétique

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Une équipe de cardiologie et génétique de l'UC Davis (USA) a évalué chez 49 chats, dont Lizard ici présent, à cardiomyopathie dilatée au terme de10 à 14 jours d'administrations quotidiennes de clopidogrel si trois allèles identifiés en humaine comme associés à une résistance au traitement pouvaient aussi intervenir. Ils confirment une telle association pour l'un de ces gènes. (cliché : UC Davis School of Veterinary Medicine).
Une équipe de cardiologie et génétique de l'UC Davis (USA) a évalué chez 49 chats, dont Lizard ici présent, à cardiomyopathie dilatée au terme de10 à 14 jours d'administrations quotidiennes de clopidogrel si trois allèles identifiés en humaine comme associés à une résistance au traitement pouvaient aussi intervenir. Ils confirment une telle association pour l'un de ces gènes. (cliché : UC Davis School of Veterinary Medicine).
 

Aux USA, « le clopidogrel est l'un des médicaments les plus prescrits chez le chat en prévention de la formation de thrombus chez les chats à cardiomyopathie dilatée ». Pourtant, « nous voyons régulièrement des chats sous traitement avec apparition de thrombus », explique le Pr Josh Stern, cardiologue et généticien à l'école vétérinaire de l'UC Davis. Il a donc piloté une étude consacrée à ce sujet, dont la publication date de la mi-juin.

Trois candidats mutés

Le clopidogrel, une fois métabolisé par les enzymes du cytochrome P450 « en son métabolite actif, inhibe irréversiblement l'un des récepteurs de l'ADP (adénosine diphosphate) sur la membrane des plaquettes ». Ce récepteur est une protéine, qui répond au joli nom de P2Y12 et qui est codée par le gène P2RY12. Chez l'humain, trois causes génétiques de résistance au clopidogrel ont été identifiées : dans les gènes codant pour le cytochrome P450, le récepteur P2Y12 et son homologue P2Y1, ces deux derniers participant à la fixation du fibrinogène et à la formation du caillot. L'équipe du Pr Stern a donc recherché parmi les séquences génétiques de chats disponibles en ligne si des mutations sont décrites dans ces gènes. Et ils ont identifié trois “candidats”, conduisant à des changements d'acides aminés :

  • dans P2RY1, un A (alanine) substitué à un G (glycine) en position 236 ;
  • dans P2RY12, un V (valine) substitué à un I (isoleucine) en position 34 ;
  • le gène CYP2C codant pour le cytochrome P450, a un variant (CYP2C41), associé à une augmentation de la concentration en métabolite actif du clopidogrel chez des chats en bonne santé. Le variant présente une substitution de R (arginine) par H (histidine) en position 231.

47 chats, surtout Européens

Avec son équipe, ils ont donc établi un protocole visant à identifier des chats résistants au clopidogrel et à réaliser le séquençage des trois gènes correspondants, chez chacun d'eux, pour évaluer le rôle possible de l'un ou l'autre des allèles mutés. Les chats ont été inclus entre septembre 2018 et septembre 2019. Ils devaient ne présenter qu'une CMD, confirmée par échographie, mais sans aucune autre pathologie. Ils ne devaient pas être sous traitement susceptible de modifier les fonctions plaquettaire et hépatique. La plupart (45/49) étaient des chats Européens (dont 7 à poils longs), les autres étant des sphynx (n =2), Maine coon (n=1) et siamois (n=1). Les chats ayant présenté des effets indésirables (il n'y en a eu aucun) ou n'acceptant pas l'administration quotidienne de comprimés (18,5 mg/chat/j sur 10 à 14 jours) ont été exclus (n=2).

Batterie de tests in vitro

La concentration plasmatique en clopidogrel et ses métabolites a été déterminée 2 h après la dernière administration, et les prises de sang avant et après le traitement ont permis de confirmer, par un éventail de tests in vitro et moléculaires, que :

  • le traitement par le clopidogrel diminue significativement l'agrégation plaquettaire (p<0,0001), telle que mesurée par agrégométrie et cytométrie de flux ;
  • il agit en activant l'adénosine monophosphate, et en favorisant l'expression de la VASP (phosphoprotéine vasodilatatrice, p<0,0001), qui inhibe P2Y12 ;
  • pourtant, sur l'ensemble de l'effectif (moyenne), la concentration plasmatique en clopidogrel et ses métabolites n'est pas corrélée au niveau moyen d'inhibition plaquettaire ;
  • les auteurs ont donc recherché si, au plan statistique, il pouvait y avoir une association entre les différents génotypes aux trois gènes d'intérêt et le degré d'inhibition plaquettaire… et ils l'ont trouvée.

Un des trois candidats

« Chez les chats porteurs des variants P2RY1 (homo- et hétérozygotes combinés), les [trois paramètres d'inhibition de l'agrégation plaquettaire mesurés] étaient significativement plus faibles » (de p=0,037 à p=0,00084). Chez ceux porteurs des variants P2RY12 (homo- et hétérozygotes combinés), un seul des trois paramètres évalués était significativement plus faible (p=0,019). Aucun des trois paramètres évalués n'était significativement modifié pour les chats porteurs du variants CYP2C41, mais seuls 4 chats de l'étude étaient porteurs de cet allèle. En analyse multivariée, seul le variant P2RY1:A236G était significativement associé à une résistance à l'inhibition d'agrégation plaquettaire. Mais les auteurs vérifient bien que « les génotypes ne modifient pas les concentrations en clopidogrel [ni ses] métabolites ». Comme le clopidogrel se fixe sélectivement sur P2RY12 mais pas sur P2RY1, les auteurs supposent que la mutation identifiée soit modifie cette protéine, soit en modifie le niveau d'expression. Elle entrerait alors en compétition avec P2RY12 pour la fixation du clopidogrel, induisant la résistance à ce dernier chez le sujet traité.

Etudes à venir

Les auteurs préviennent « qu'il n'est pas clair, si le variant P2RY1:A236G conduit à une fréquence accrue de développement d'un thrombo-embolisme artériel cardiogénique malgré le clopidogrel. Une étude observationnelle longitudinale mériterait d'être réalisée pour déterminer si les complications thrombo-emboliques se produisent plus fréquemment chez les chats à CMD sous traitement selon qu'ils possèdent ou non le variant P2RY1:A236G ». Sur le faible effectif de l'étude, la version sauvage de P2RY1 était présente chez 32,7 % des chats ; les variants chez les autres deux tiers (il y a deux variants, qui n'ont pas la même amplitude d'effet sur l'inhibition d'agrégation plaquettaire). Les auteurs signalent qu'il n'y a pas encore de test génétique disponible pour évaluer si le génotype des chats pour ces allèles, mais l'appellent de leurs vœux. « Nous nous approchons de la médecine individualisée, ou de précision » précisent-ils dans un communiqué de l'université, nettement plus affirmatif dans le lien entre allèles et résistance que ne l'est la discussion de l'article scientifique. Dans ce dernier, ils proposent aussi de vérifier si des allèles d'autres gènes peuvent aussi avoir cet effets sur l'efficacité du clopidogrel.