titre_lefil
logo_elanco

18 juin 2021

Une augmentation inédite des cas de pancytopénie féline détectée outre-Manche

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

Un épisode recensant plus de 130 cas sévères de pancytopénie féline est en cours depuis avril outre-Manche. Il a d'abord été relayé au sein de la profession. Ce n'est qu'avec le très récent rappel de certains aliments, à titre de précaution, que le sujet arrive dans les médias généralistes.
Un épisode recensant plus de 130 cas sévères de pancytopénie féline est en cours depuis avril outre-Manche. Il a d'abord été relayé au sein de la profession. Ce n'est qu'avec le très récent rappel de certains aliments, à titre de précaution, que le sujet arrive dans les médias généralistes.
 

Dans un communiqué publié le 16 juin au soir, la Food Safety Agency (FSA), équivalent britannique de l'Anses, « alert[ait] les propriétaires de chats, à la suite de l'augmentation des cas de pancytopénie féline ». Il est précisé que, « depuis avril 2021, plus de 130 cas » de cette affection « habituellement très rare » et « qui peut être fatale », ont été détectés outre-Manche.

« Lien potentiel »

Cette alerte « conseille aux propriétaires de ne pas alimenter leur chat avec certains aliments ». Car « l'épisode actuel de pancytopénie est potentiellement lié » à de tels produits, sur lesquels l'Agence annonce un rappel de produits, dont la liste confirme qu'il s'agit d'aliments du commerce vendus sous différentes marques (Applaws, AVA et sous marque de distributeur Sainsburry) d'un même fabricant : Fold Hill Foods Ltd. La liste des 21 produits concernés a été publiée la veille (15 juin), et le motif du rappel était alors « du fait de préoccupations sur la sécurité ». Le lien entre ces rappels, précisés comme volontaires de la part du fabricant et l'augmentation des cas de pancytopénie, « est possible ». Donc non avéré.

« Pas de preuve absolue »

L'alerte de la FSA cite « un membre du gouvernement » qui précise que les investigations sont en cours entre les services vétérinaires et la faculté royale vétérinaire de Londres. « A ce stade, il n'y a pas de preuve absolue confirmant un lien » entre les aliments et l'épisode. C'est « au titre de précaution que les fabricants et les propriétaires des marques rappellent ces produits ». Il n'y a non plus « aucune preuve indiquant que cet épisode pourrait affecter la santé publique ». Le 17 juin, le rappel est étendu par le fabriquant à des lots supplémentaires des mêmes produits, toujours au titre de précaution.

Appel du/au vétérinaire

Le second conseil aux propriétaires de chats est que « si l'aliment habituel de [leur] chat est affecté par le rappel et que [leur] chat ne va pas bien, il faut prendre immédiatement l'avis de [leur] vétérinaire ». Si le chat va bien, il est conseillé de changer d'aliment. Le Royal Veterinary College avait en effet lancé un appel aux praticiens pour signaler d'éventuels cas supplémentaires dès le 25 mai. Il est précisé que l'épisode actuel est constitué « de cas sévères (…) souvent fatals ». Cet appel a été relayé dans l'édition du 4 juin du Veterinary Record. Le questionnaire destiné aux praticiens est – logiquement – en anglais et en libre accès. Il demande aux propriétaires de chats affectés de ne pas remplir le questionnaire eux-mêmes, mais de le faire faire par leur praticien traitant.

Fin mai

Les deux cliniciennes spécialisées en médecine interne et hématologie indiquaient dès fin mai : « typiquement, nous voyons un cas par an » de pancytopénie féline. « Mais sur les 4 dernières semaines, nous avons vu 10 chats présentant une pancytopénie sévère (leucopénie, thrombocytopénie et anémie. La plupart ont une hypo- voire une aplasie médullaire généralisée. Certains cas d'un même foyer l'ont développé en même temps ». En partageant sur le sujet « avec des confrères praticiens généralistes et en structures de référés dans tout le pays, nous avons eu connaissance de 40 à 50 cas supplémentaires ». Le chiffre annoncé par la FSA à la mi-juin double donc ce décompte.

Seul modèle cohérent

Fin mai, aucune cause n'avait été suspectée. Dans la mise à jour de leur déclaration au 15 juin, les deux cliniciennes précisent que, « sur la base des éléments actuels, le régime alimentaire des individus concernées est le seul aspect à présenter un modèle cohérent entre ces cas », c'est-à-dire pour « environ 80 % » des plus de 130 cas détectés. Toutefois, « l'aliment n'est pas la cause avérée de pancytopénie chez ces chats et les investigations sont en cours avec l'industrie du petfood et les autorités pour poursuivre les recherches et identifier la cause sous-jacente de cette affection extrêmement sérieuse ».

Saignements spontanés

A partir des données partagées pour les cas déjà identifiés, « la plupart des chats présentent des signes non spécifiques pendant deux jours avant d'être présentés en consultation. Les signes les plus fréquents comprennent la léthargie, la perte d'appétit et dans certains cas il y a des signes de saignements ou d'hématomes spontanés ». Dans leur mise à jour à destination des praticiens, elles signalent cependant que « l'un des premiers signes les plus spécifiques peuvent être ces saignements, par exemple de la gueule, des hématochézies, hématurie, hématémèse, méléna, ou la formation d'hématome au site de la ponction veineuse ». Les cas les plus sévères présentent une hypovolémie et perte de conscience. « Certains chats ne présentent aucun signe clinique et ont été détectés car un autre chat du même foyer était affecté ».

Critères diagnostiques

La mise à jour la plus récente du site du Royal Veterinary College propose aux praticiens une grille de suspicion diagnostique : un comptage plaquettaire « en général < 20 109/l), une neutropénie généralement inférieure à 0,5 109/l et différents niveaux d'anémie arégénérative, selon la quantité de saignements s'étant produits ». Lors du stade précoce, il semble que seule la thrombocytopénie soit présente et que l'anémie soit alors régénérative. « L'analyse de référence serait alors une prélèvement de moelle osseuse ».

Antidote ?

Quant au traitement, « une base toxique est suspectée, bien que non confirmée, mais la toxine n'est pas connue, donc son antidote non plus ». Le traitement symptomatique repose sur la transfusion de sang total ou d'hématies, avec ou sans plasma et une antibiothérapie à large spectre pour les chats à leucopénie. « La corticothérapie reste controversée, sans preuve qu'une dose immunosuppressive ait un effet négatif sur des patients ayant un comptage si faible en neutrophiles ». En dehors de la médecine factuelle, les cliniciennes évoquent aussi le recours « au granulocyte colony stimulating factor (G-CSF), à l'acide tranéxamique chez les patients ayant eu des hémorragies profuses et de la cobolamine ».

Sur son site linkedIn, Fold Hill Foods Ltd précise que, entreprise familiale, il est « le premier fournisseur d'aliments secs sous sa propre marque et un fournisseur majeur en animaleries » outre-Manche. L'entreprise « vend dans plus de 15 pays en Europe et au-delà », sous sa propre marque ou celle de ses clients. Si le lien épidémiologique entre l'épisode et l'aliment était avéré, cette crise pourrait alors dépasser les îles britanniques.