titre_lefil
logo_elanco

15 juin 2021

Filobacterium felis, nouveau membre du microbiote respiratoire félin… parfois associé à des bronchites chroniques

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Longtemps baptisées CARB pour “cilia-associated respiratory bacillum”, ces longues et fines bactéries ont été identifiées comme des pathogènes primaires chez les rongeurs de laboratoire et nommées Filobacterium rodentium. Une équipe internationale vient d'en décrire une nouvelle espèce chez le chat, possiblement liée aux bronchites chroniques. Cliché (microscopie électronique de F. rodentium cultivé avec des cellules VeroE6), source : https://www.riken.jp
Longtemps baptisées CARB pour “cilia-associated respiratory bacillum”, ces longues et fines bactéries ont été identifiées comme des pathogènes primaires chez les rongeurs de laboratoire et nommées Filobacterium rodentium. Une équipe internationale vient d'en décrire une nouvelle espèce chez le chat, possiblement liée aux bronchites chroniques. Cliché (microscopie électronique de F. rodentium cultivé avec des cellules VeroE6), source : https://www.riken.jp
 

Tout est parti de trois chats présentant une bronchite éosinophilique, vus par la même praticienne, en Tchéquie… Et aboutit à une nouvelle espèce bactérienne, baptisée pour l'occasion Filobacterum felis, identifiée par une équipe internationale de microbiologistes tchèques, italiens, japonais et australiens, qui pense que « elle pourrait être une cause sous-diagnostiquée de maladie bronchique féline ».

Accident d'anesthésie

Des bacilles très allongés et très fins (quasiment invisibles en microscopie optique) sont de longue date décrits comme associés à l'épithélium cilié respiratoire de différentes espèces animales. Non cultivables jusqu'en 1995, cela leur a valu la vague dénomination de CARB, pour “cilia-associated respiratory bacillum”. Au milieu des années 1980, son rôle de pathogène respiratoire primaire chez le rat a été démontré expérimentalement et lui a valu, en 2015, un nom de genre et d'espèce : Filobacterium rodentium. Des CARB ont été décrites chez différentes espèces animales, du porc au bovin, mais un seul cas publié concerne la médecine féline. Il remonte à 2002 et décrit « un chat de 10 ans décédé en cours d'anesthésie » et dont l'anatomopathologie a confirmé la « présence de bronchite et bronchiolite » ainsi que la présence d'un CARB « associé aux cils de l'épithélium ». Les auteurs avaient alors recherché sa présence en histologie dans les poumons de 9 chats sans atteinte respiratoire (2 positifs), 7 chats à bronchite et bronchiolite (1 positif) et 2 chats à pneumonie (1 positif). Ils n'avaient pu conclure.

Intermittents de la toux

La praticienne praguoise, qui est également clinicienne à la faculté vétérinaire, a reçu en consultation pour « une toux intermittente » trois chats de maîtres différents, âgés de 18 mois à 6,5 ans, aucun n'ayant accès à l'extérieur. Il n'y avait pas d'autre animal de compagnie à leurs domiciles respectifs. Un examen clinique, radiographique (« profil bronchique »), et des analyses complémentaires ont écarté une origine cardiaque ou parasitaire pour la toux. La praticienne a donc réalisé un lavage broncho-alvéolaire (LBA) profond (sous anesthésie générale), pour microbiologie (culture classique négative), cytologie (présence de neutrophiles et macrophages), et plus d'analyses moléculaires si affinité. Mais les PCR quantitatives de tous les pathogènes respiratoires félins classiques sont revenues négatives.

<95 % d'homologie

Grâce à la « chance de la présence à proximité [de sa clinique] d'un laboratoire d'analyses moléculaires d'humaine », il a alors été réalisé une PCR spécifique du gène codant pour l'ARN16S de toutes les bactéries, puis de séquencer l'amplicon. Dans les trois cas, une seule séquence bactérienne était présente, dont les plus proches parents connus étaient un Filobacterium de bovin pas encore caractérisé (94,2 % d'homologie de séquence) et F. rodentium (91,2 % d'homologie), quand une nouvelle espèce peut être suspectée au sein d'un genre sous les 95 % d'homologie. Se doutant qu'elle tenait là une possible nouvelle espèce, féline, de Filobacterium, la praticienne a adapté au chat le traitement de l'affection des rongeurs : administration orale biquotidienne de sulfamides potentialisés, sur six semaines. Les signes cliniques ont disparu en trois semaines pour deux des chats. Le maître du 3e chat présentant des défauts d'observance, un traitement associant spiramycine et métronidazole par voie orale (une prise par jour) et céfovécine (trois administrations sous-cutanées à 2 semaines d'intervalle) a permis d'obtenir aussi la guérison (avérée par radiographie). Les trois chats n'ont pas rechuté à 19-21 mois de la fin de ce traitement (date de soumission du manuscrit).

Aussi en Australie…

Espérant pouvoir incriminer ce candidat au nom de F. felis dans les affections respiratoires félines, les auteurs ont étendu le champ des investigations, grâce à une collaboration internationale. Des échantillons congelés de LBA issus de 13 chats présentant une « maladie bronchique » non allergique prélevés dans différentes cliniques vétérinaires de Sydney (Australie) ont été analysés par séquençage intégral du génome. « Le nouveau Filobacterium était présent dans les 13 prélèvements, souvent en tant qu'organisme majoritaire » (6 des 13 cas).

… et en Italie

De même, des LBA de 11 chats présentant une « maladie bronchique chronique » et prélevés à la clinique vétérinaire de San Marco (Italie) ont été décongelés pour séquençage intégral du génome. Celui du “candidat” F. felis était présent dans 6 d'entre eux (comme micro-organisme dominant pour deux de ces prélèvements). Face à ce succès, l'équipe a mis au point une PCR spécifique de F. felis, qu'ils ont appliquée à l'ADN extrait de fragments de poumons prélevés à l'autopsie sur 16 chats décédés d'affection non respiratoire (IZS de Vénétie, Italie). Seuls deux étaient négatifs, les 14 autres ayant des charges génomique variant de 1,6 102 à 6,4 105 copies de génome/ml (seuls deux échantillons avaient une charge génomique > 105, alors que près de la moitié de LBA étaient au-dessus de cette charge.

Les auteurs concluent donc que F. felis est une bactérie « commensale des poumons de nombreux chats en bonne santé, où elle est présente à des charges génomiques de moins de 104 copies de génome par gramme de poumon dans la plupart des cas, et où elle est un colonisateur présumé de l'épithélium respiratoire. Dans certaines circonstances, toutefois, il peut se comporter en pathogène primaire ou opportuniste et conduire à une bronchite neurtrophilique, une bronchiolite, voire une pneumonie interstitielle ». L'auteure propose de rechercher à présent F. felis dans les bronchites félines, par qPCR sur le LBA, mais aussi par bronchoscopie, CT-scanner et microscopie électronique du culot de centrifugation du LBA.