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16 juin 2021

Rachat de cliniques. La mise en demeure de Bruxelles fait pschitt… La majorité du capital aux vétos n'est pas du tout contestée sauf dans les SEL à 75 % vétérinaire

par Eric Vandaële

Temps de lecture  10 min

Aux USA, des animaleries PetSmart s'associent aux cliniques vétérinaires VetSmart de Banfield
Et si Truffaut ou des coopératives agricoles devenait actionnaires (jusqu'à 49 %) d'une clinique vétérinaire. Dans une lettre de mise en demeure adressée à la France, Bruxelles estime que cela n'entrave pas l'indépendance des vétérinaires tant qu'ils conservent le contrôle de leur société avec une majorité simple (> 50 %). Aux USA, les animaleries PetSmart (1650 magasins) se sont déjà associées à la chaîne de cliniques Banfield Pet Hospital pour y installer une clinique vétérinaire « VetSmart » dans plus de 200 magasins. Illustration firstquarterfinance.com
Aux USA, des animaleries PetSmart s'associent aux cliniques vétérinaires VetSmart de Banfield
Et si Truffaut ou des coopératives agricoles devenait actionnaires (jusqu'à 49 %) d'une clinique vétérinaire. Dans une lettre de mise en demeure adressée à la France, Bruxelles estime que cela n'entrave pas l'indépendance des vétérinaires tant qu'ils conservent le contrôle de leur société avec une majorité simple (> 50 %). Aux USA, les animaleries PetSmart (1650 magasins) se sont déjà associées à la chaîne de cliniques Banfield Pet Hospital pour y installer une clinique vétérinaire « VetSmart » dans plus de 200 magasins. Illustration firstquarterfinance.com
 

Double rebondissement dans la guerre que mènent les grands groupes et leurs avocats contre les radiations de plus en plus nombreuses des cliniques vétérinaires qu'ils viennent de racheter. Au grand dam de ces grands groupes, l'Ordre des vétérinaires, en régions ou au national, est en effet amené à prononcer de plus en plus fréquemment ces radiations lorsqu'il constate que les règles de détention du capital prévues à l'article L. 241-17 du Code rural sont contournées.

Après avoir perdu leurs recours devant le Conseil national de l'Ordre des vétérinaires, ces grands groupes se réjouissaient que la Commission européenne adresse une lettre de mise en demeure à la France sur trois points :

  • Les règles de détention du capital des sociétés d'exercice vétérinaire,
  • L'inscription à l'Ordre pour les dirigeants des sociétés,
  • La publicité comparative (voir ce lien sur le site destiné à la presse).

C'était le premier rebondissement du week-end dernier.

Mais, second rebondissement, dans la lettre de mise en demeure, Bruxelles ne conteste pas du tout les règles françaises de détention du capital à la majorité simple (> 50 %) par des vétérinaires en exercice dans la société. En revanche, la Commission européenne estime disproportionné que, dans les SEL (sociétés d'exercice libéral), il soit exigé que le capital soit détenu à plus de 75 % par des vétérinaires. Pour Bruxelles, la règle de la majorité simple est suffisante pour que les vétérinaires associés disposent d'un contrôle sur leurs sociétés, y compris dans les SEL.

Avec 7 mises en demeure sur 174, la France bon élève de l'UE

Cette mise en demeure de la France est l'un des 174 courriers de ce type que la Commission européenne a envoyé le 9 juin à l'un des 27 États membres de l'UE. Avec six autres mises en demeure de ce type, la France fait plutôt partie des bons élèves de l'UE. À titre de comparaison, dans les pays proches de la France, parmi les 174 courriers de la fournée du 9 juin, l'Allemagne en a reçu neuf, la Belgique dix, l'Espagne, le Danemark ou les Pays-Bas huit chacun.

Cette procédure de mise en demeure n'est donc pas exceptionnelle. Et elle ne préjuge pas de la décision que pourrait rendre la Cour de justice de l'UE si elle était saisie. Il n'est d'ailleurs pas si exceptionnel que la Cour de justice tranche de manière opposée à la Commission européenne.

Les vétos restent une profession de services… pas de santé

Selon la Commission européenne, la législation française sur les sociétés vétérinaires serait en infraction avec la fameuse directive services (2006/123). Car, pour Bruxelles, les vétérinaires sont d'abord une profession de services, et non une profession de santé. Même à l'heure du « one health ».

Si des restrictions sur la détention du capital par des investisseurs autres que les vétérinaires, elles doivent donc être motivées « par une raison impérieuse d'intérêt général » (la santé publique par exemple) et proportionnées à l'objectif poursuivi, par exemple une totale indépendance pour garantir que les décisions sont prises dans l'intérêt de la santé publique.

C'est tout le sens de l'article 15 de la directive services 2006/123 (voir ce lien). Il autorise bien les États membres à prendre des mesures nationales de restrictions sur, entre autres, la détention de capital des sociétés de services, d'inscription à un ordre ou sur la publicité. Mais seulement si ces restrictions nationales sont motivées et proportionnées. Car, à l'inverse des professions de santé, la directive service « vise à exploiter au maximum le potentiel des marchés de services en Europe en éliminant les obstacles juridiques et administratifs aux échanges transfrontaliers ».

Inutile d'exiger plus que la majorité simple dans les SEL selon Bruxelles

Dans sa lettre de mise en demeure (qui n'est pas publiée), la Commission européenne indique qu'elle a « mis en évidence le caractère injustifié et disproportionné de la législation française ». Elle estime que notre législation nationale n'est pas alignée sur les exigences de la directive services sur les points suivants.

Dans les SEL, il est exigé qu'au moins 75 % du capital soit détenu par des vétérinaires, ce qui limite à 25 % la part du capital détenu par des non-vétérinaires afin de garantir l'indépendance des vétérinaires dans leur société.

Pour la Commission européenne, il est justifié de garantir l'indépendance. Mais une exigence visant à restreindre à 25 % l'entrée au capital de non-vétérinaires n'apparaît pas proportionné. Pour garantir cette indépendance des sociétés d'exercice vétérinaire, il est suffisant d'exiger le contrôle de la société par les vétérinaires avec la majorité simple des actions [> 50 %] comme le fait déjà précisément l'article L. 241-17 du code rural (voir ce lien). Selon cet article L. 241-17 du code rural,

  • La majorité du capital et des droits de vote de ces sociétés est détenue par des vétérinaires en exercice dans « leur » société.
  • Les fournisseurs de produits ou de services aux vétérinaires ne peuvent pas entrer dans le capital des sociétés d'exercice vétérinaires, tout comme leurs « clients potentiels » : les éleveurs, les animaleries, les organisations de producteurs, les industriels ayant une activité de transformation des produits animaux (laiteries, fabricants d'aliments à base de produits animaux…) .
  • Un vétérinaire « en exercice » est le président de la société (ou, selon la forme de la société, son gérant) et donc son principal dirigeant.

Ces deux derniers points sont également contestés par la Commission européenne. Dans la mesure où il est exigé que la majorité du capital soit détenue par des vétérinaires qui exercent alors le contrôle effectif de leurs sociétés, Bruxelles estime disproportionné d'y ajouter d'autres exigences. Pour Bruxelles, l'indépendance des vétérinaires est donc déjà suffisamment bien garantie par la détention de la majorité simple des parts ou des actions.

Pourquoi interdire aux animaleries, éleveurs, coopératives l'entrée au capital ?

Ainsi, Bruxelles estime qu'il n'est pas nécessaire d'interdire toute détention d'une part de sociétés d'exercice vétérinaire à des éleveurs, ou à leurs groupements, ou à toute société exerçant une activité liée aux animaux, qu'ils soient de compagnie ou de rente…

En d'autres termes, pour la Commission européenne, l'indépendance et le secret professionnel sont déjà garantis par l'exigence de la majorité simple sans qu'il soit nécessaire d'interdire à des sociétés ou des professionnels des animaux, ou de la transformation des produits animaux d'entrer dans le capital des sociétés d'exercice vétérinaire.

Si cette observation était suivie, cela permettrait aux animaleries, mais aussi aux organisations de production, aux coopératives ou à d'autres industriels… d'entrer comme actionnaire minoritaire dans le capital des sociétés d'exercice vétérinaire. Les cliniques vétérinaires pourraient être détenus jusqu'à 49 % par Truffaut. Tout comme les structures vétérinaires rurales par les organisations de production. Et les cliniques équines par des hippodromes ou des grands haras.

En revanche, la Commission européenne ne conteste pas l'interdiction totale faite aux fournisseurs des vétérinaires, les laboratoires, les fabricants de petfoods ou d'autres produits… d'entrer dans le capital des sociétés d'exercice vétérinaire.

Et si les cliniques n'étaient pas dirigées par des vétérinaires…

Dans le même esprit, Bruxelles n'estime pas nécessaire, pour garantir l'indépendance des vétérinaires, que leurs sociétés d'exercice soient toutes dirigées par des vétérinaires en exercice (donc inscrits à l'Ordre), du moment que les associés vétérinaires (également inscrits à l'Ordre) exercent un contrôle effectif de la société avec la majorité simple des parts.

Pour Bruxelles, l'inscription à l'Ordre des dirigeants et des vétérinaires associés sont aussi des « obstacles transfrontaliers » à la liberté d'installation en France de sociétés dont le siège est dans un autre État membre. Car, dans ces sociétés, il est difficile, impossible ?, de se conformer à l'obligation d'inscription à l'Ordre des vétérinaires de France à la fois pour ses dirigeants et ses associés si la société est établie dans un autre pays de l'UE. La Commissions européenne estime que cette clause est discriminatoire. Car elle empêche ses sociétés d'ouvrir « des succursales » en France. Il conviendrait donc de la « clarifier » et de mieux la « justifier » afin qu'elle ne soit plus discriminatoire.

La pub comparative peut être contrôlée sans être interdite

Moins important, la Commission européenne s'attaque aussi à quelques restrictions sur la publicité des vétérinaires qui figurent dans le code de déontologie. Depuis 2015, selon l'article R. 242-35 du code rural (voir ce lien), la communication des vétérinaires « est libre », mais sous réserve notamment,

  • « D'être loyale et honnête, scientifiquement étayée,
  • De ne pas porter atteinte au respect du public ni à la dignité de la profession,
  • De préserver le secret professionnel,
  • De ne pas induire le public en erreur, ni d'abuser de sa confiance, ni d'exploiter sa crédulité, son manque d'expérience ou de connaissances,
  • De ne pas utiliser de procédés comparatifs, ni le témoignage de tiers. »

C'est ce dernier point qui pose problème. Bruxelles estime qu'il n'y a pas de raison impérieuse qui justifie une interdiction stricte de la publicité comparative ou le témoignage de tiers. La Commission européenne suggère que l'Ordre des vétérinaires exerce néanmoins « un contrôle régulier et systématique de ces publicités », afin d'en vérifier l'exactitude et la véracité.

Une mise en demeure de Bruxelles n'est pas une décision de justice

Régulièrement, la Commission européenne envoie plusieurs dizaines, voire centaines, de lettres de mises en demeure ou d'avis motivés aux États membres pour leur signaler ce qu'elle estime être des « violations du droit européen » par le droit national de ces États. La procédure suivie par Bruxelles est alors la suivante (voir ce lien) et comprend trois étapes.

  1. La Commission européenne envoie à l'État membre une demande d'informations appelée « lettre de mise en demeure ». L'État membre dispose d'un délai généralement de deux mois pour y répondre.
  2. Si la réponse n'est pas jugée satisfaisante par la Commission, elle peut lui demander de se conformer au droit européen par un « avis motivé ». Là encore, le délai habituel est de deux mois.
  3. À défaut, dans 5 % des cas, la Commission peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne sur ces infractions présumées. Dans ces cas litigieux, il n'est alors pas rare que la Cour de justice de l'Union européenne ne suive pas l'avis de la Commission européenne. Et bien malin celui qui se risquerait à parier à l'avance sur une décision de la Cour de justice.

Argos, AniCura, IVC Evidensia créent leur syndicat : Syngev

Cette lettre de mise en demeure contre la France s'inscrit aussi dans un contexte difficile pour les grands groupes AniCura ou IVC Evidensia dont les sociétés rachetées sont progressivement radiées par l'Ordre des vétérinaires. Des recours sont évidemment en cours, notamment auprès du Conseil d'État.

Pour défendre leurs intérêts, trois grands groupes, Argos, AniCura et IVC Evidensia, ont créé le 3 mai dernier une nouvelle association représentative des groupes d'établissements vétérinaires : Syngev. Ils revendiquent à eux trois 127 cabinets, cliniques ou CHV. Et, selon eux, 11 % des vétérinaires en exercice ont rejoint un groupe. Dans un communiqué du 11 juin, ce nouveau syndicat se réjouit que la Commission européenne débute cette procédure contre la France.