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30 novembre 2020

L'ouverture d'une première école vétérinaire privée en France est sur les rails. Les modalités pratiques restent à définir

par Agnès Faessel

Temps de lecture  10 min

C'est sur son campus de Rouen (et non Amiens comme le projet de 2008) que le groupe privé UniLaSalle projette d'ouvrir une école vétérinaire (photo : copie d'écran du site rouen.unilasalle.fr).
C'est sur son campus de Rouen (et non Amiens comme le projet de 2008) que le groupe privé UniLaSalle projette d'ouvrir une école vétérinaire (photo : copie d'écran du site rouen.unilasalle.fr).
 

Les nouvelles habitudes des visioconférences ont sans doute permis de l'organiser en temps record. Mais les contraintes technologiques en ont montré les limites : la plateforme Wizzvet a organisé vendredi dernier une table ronde sur la création d'écoles vétérinaires privées en France permise par le projet de loi de programmation de la recherche adopté par le Parlement (voir LeFil du 13 novembre) et en voie d'être promulgué par le Président de la République.

Cette évolution législative fait beaucoup réagir la profession. Il était intéressant de faire débattre diverses parties prenantes. Huit personnalités ont ainsi participé à la webconférence (la connexion avec le sénateur LR Arnaud Bazin, vétérinaire, ayant échoué) :

  • Philippe Choquet, directeur général d'UniLaSalle, groupe d'enseignement portant le projet d'ouverture d'une école vétérinaire à Rouen.
  • Laurent Somon, vétérinaire, sénateur LR de la Somme.
  • Stéphane Martinot, vétérinaire, président de l'AEEEV (Association européenne des établissements d'enseignement vétérinaire), en charge de l'accréditation des établissements vétérinaires en Europe.
  • Vanessa Louzier, professeur de physiologie, pharmacodynamie et thérapeutique à VetAgro Sup (Lyon), présidente de la FSEEVF (Fédération syndicale des enseignants des écoles vétérinaires françaises).
  • Jean-Yves Gauchot, vétérinaire praticien, président de la FSVF (Fédération des syndicats vétérinaire de France).
  • Christophe Hugnet, vétérinaire praticien, président du collectif SEVIF (Structures et établissements vétérinaires indépendants de France).
  • Laurent Perrin, vétérinaire praticien, président du SNVEL (Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral).
  • Marie Cauchois, vétérinaire praticienne, administratrice du groupe Facebook Contre la création d'écoles vétérinaires privées en France (« vétérinaire en colère »).

La virtualité de la table ronde, et les problématiques de son et de connexion, ont gêné la tenue d'un réel débat, mais chacun a toutefois pu exposer son point de vue (en l'absence néanmoins de représentant de la DGER comme des sénateurs à l'origine de l'amendement). Quels sont-ils ?

Un établissement associatif

En préalable des discussions, Philippe Choquet a pu présenter le projet UniLaSalle. Il a tout d'abord rappelé que le groupe n'est pas une structure privée « à but lucratif », mais de statut associatif « loi 1901 », reconnue d'intérêt général par l'État (label EESPIG) et d'existence ancienne (près de 170 ans). Le groupe fusionne aujourd'hui 5 écoles d'ingénieurs, dans les domaines de l'agronomie, la géologie, les sciences de l'environnement et, dernièrement, le numérique. Il dispose de 4 campus, dont celui de Rouen qui se propose d'accueillir la nouvelle école vétérinaire. Il travaille sous contrat avec les ministères de l'agriculture et de l'enseignement supérieur, il mène des activités de recherche (en complément de ses activités de formation).

Interrogé sur la proportion d'écoles privées en Europe (et dans le monde), Stéphane Martinot a expliqué la grande diversité des statuts existants, sans frontière évidente parfois entre le « privé » et le « public » (l'école d'Hanovre en Allemagne, par exemple, appartient à une Fondation). La tendance actuelle est plutôt l'ouverture de nouveaux établissements de formation vétérinaire non financés par les États. Il rappelle aussi que l'accréditation AEEEV est indépendante du statut de l'établissement, se basant exclusivement sur le respect de standards de qualité. En clair, l'école de Rouen sera tout à fait éligible à cette accréditation européenne.

Des modalités de formation « originales »

La nouvelle école souhaite d'ailleurs proposer un cursus de même qualité que les ENV, et être accréditée par l'AEEEV, mais en offrant des modalités de formation originales (diversité de profils et de l'offre de formation).

Dans les grandes lignes, le projet est le suivant :

  • Un recrutement post-bac (sélectif sur dossier, concours, entretien) et une prépa intégrée (à noter qu'un tel recrutement débute dans les ENV à la rentrée prochaine, voir LeFil du 28 février).
  • Un cursus en 6 ans : 5 ans d'études (incluant l'année de prépa) et une année de préparation de la thèse d'exercice (ce qui ne diffère pas des ENV).
  • Des stages chaque année y compris la première.
  • Outre un CHUV sur place — c'est une exigence prévue par la nouvelle loi —, un enseignement clinique dit semi-distribué, en partenariat avec des cliniques vétérinaires privées (un système fonctionnant à l'étranger).

Selon Philippe Choquet, ce projet est une réponse à divers constats de l'évolution de la démographie vétérinaire, notamment celle de la pyramide des âges et un manque de vétérinaires à venir, sa féminisation et, surtout, un effectif grandissant de nouveaux inscrits diplômés d'établissements vétérinaires étrangers (ils représentent 45 % des primo-inscrits en 2019) : moins de Belgique qui a modifié son dispositif d'inscription en faculté, mais désormais de Roumanie et d'Espagne. Ces formations créent des emplois… autant les proposer en France.

L'objectif est aussi de lutter contre la désertification des territoires ruraux. Et constatant que les jeunes vétérinaires s'installent préférentiellement dans une zone entourant leur école d'origine, un cinquième établissement localisé en Normandie lui paraît légitime.

Un projet réactualisé

Comme son nom l'indique, ce projet n'est pas finalisé. Et ce n'est pas le premier développé par UniLaSalle. En 2008, à la demande du ministère, un projet d'école vétérinaire avait été monté, sur le campus d'Amiens. Nombre de raisons l'avaient fait échouer, parmi elles la demande de bénéficier de subventions, qui n'avait pas été appréciée. Ce choix n'est pas retenu dans le nouveau projet, ce qui explique, entre autres, des frais de scolarité élevés (environ 90 000 euros pour l'ensemble du cursus, 15 000 euros par an), malgré la compression des coûts.

Alors bien sûr, ce montant, si exorbitant par comparaison à celui des ENV, fait réagir. En effet, comment imaginer autre chose que le recrutement de jeunes issus de familles à revenus confortables, plutôt citadins, ainsi que, pour ceux qui s'endetteront pour payer leurs études, le choix de se tourner vers une activité la plus rentable possible, ce que la pratique en « désert » vétérinaire n'offre pas. C'est là l'un des arguments des détracteurs du projet. Mais pas seulement.

Préférence pour une 5e ENV

Car si le manque de vétérinaires praticiens est une problématique identifiée, elle aurait pu trouver une solution en augmentant encore les effectifs formés dans les ENV actuelles. La taille des promotions a effectivement grossi de 30 % depuis quelques années, formant l'équivalent d'une cinquième école vétérinaire, rappelle Vanessa Louzier. À condition bien sûr d'apporter les moyens nécessaires aux établissements. Et si une nouvelle école était vraiment jugée nécessaire, pourquoi pas une ENV ? Après tout, la 4e, à Nantes, avait été créée ainsi. Pour Jean-Yves Gauchot, ce désengagement de l'État est un mauvais signal envoyé à la profession, alors que les liens sont déjà distendus. Il est d'autant plus étonnant, pour le sénateur Somon, que le rôle des vétérinaires est très étendu, et à des missions de service public comme les inspections à l'abattoir.

Un problème d'attractivité des territoires ruraux

Et surtout, selon les attendus de l'article de loi, la naissance d'écoles vétérinaires privées se pose comme une réponse au problème du maillage et des déserts ruraux. Assez unanimement, les participants constatent qu'il ne s'agit pas là d'un manque d'effectifs vétérinaires, mais d'attractivité de certains territoires. Le problème n'est pas le manque de vétérinaires ruraux, mais le manque de vétérinaires dans les territoires ruraux.

Sur ce point, Philippe Choquet se veut rassurant : les diplomés des écoles privées en recrutement post-bac se dirigent beaucoup ensuite en zones rurales, et les cursus actuels du groupe recrutent à hauteur de 40 % des jeunes du monde agricole.

Plus globalement, Marie Cauchois rapporte que 30 % des étudiants vétérinaires ne souhaitent pas exercer. Le métier est difficile, une dette d'études à rembourser va encore ajouter au stress des praticiens, parfois à leur détresse. « Il faut se poser les bonnes questions ». Selon Laurent Perrin, c'est aussi une question de volonté politique, il faut se demander de quels vétérinaires nous avons besoin, et comment les rémunérer.

Un « couteau dans le dos »

Au-delà de ces points, l'un des principaux griefs exprimés par les représentants de la profession est leur manque d'implication en amont, l'absence de débat parlementaire autour d'une disposition si importante pour la formation et, par suite, pour l'exercice vétérinaire. « Nous n'avons pas été consultés », « évoquée depuis 10 ans, la modification de loi est apparue brutalement, sans discussion », « nous avons découvert cet article », « été mis devant le fait accompli », « court-circuités »… Les expressions varient mais le fond est identique : est-ce bien le reflet de la démocratie ? Laurent Somon, dont l'avis est « mitigé » sur le fond face aux arguments avancés de part et d'autre, s'étonne tout de même du cheminement du projet d'amendement au sein des missions parlementaires et ne peut apprécier le côté cavalier de la procédure. « Il y a un manque de transparence dans ce projet ».

Marie Cauchois a fait part de sa « colère », évoquant une véritable trahison, un « couteau planté dans le dos des vétérinaires », que l'État sait solliciter en cas de crise sanitaire mais qu'il trahit ici.

Quels enseignants recruter ?

L'excellence du diplôme doit être préservée, et elle repose autant sur les enseignements théoriques que pratiques. Du côté des enseignants, l'inquiétude est grande de voir décerner un même diplôme à l'issue d'une formation différente. Pour Vanessa Louzier, il est indispensable qu'une école privée ait les mêmes obligations qu'une ENV, mais aussi les mêmes contraintes. Une école vétérinaire doit avoir un CHUV. Et quid du recrutement, alors que selon l'AEEEV, former 100 étudiants nécessite de disposer de près de 60 postes d'enseignants (en équivalent temps plein). Or, les candidats ne se bousculent pas, surtout dans les disciplines fondamentales.

Pour Christophe Hugnet, il convient aussi d'être vigilant à conserver l'indépendance de la profession vis-à-vis des intervenants amont et aval. En d'autres termes, l'implication dans la formation des vétérinaires de laboratoires pharmaceutiques, de fabricants d'aliments, de coopératives agricoles… ne peut être acceptée.

Quelle suite attendre

Et maintenant ? Le Conseil constitutionnel a été saisi par au moins 60 sénateurs. Il a donc la possibilité de censurer les articles ou les dispostions qui lui apparaissent contraires à la Constitution. Sauf surprise, cette loi devrait néanmoins être promulgué par le Président de la République. Et l'ouverture d'écoles vétérinaires privées sera ainsi permise sur notre territoire. Il reste toutefois à rédiger le décret d'application. Et sur ce point, globalement, tous les intervenants de la table ronde semblent d'accord sur l'indispensable participation – cette fois – de la profession à leur préparation et leur rédaction. Pour Laurent Perrin, il ne conviendra pas seulement de participer, mais d'être entendus. « C'est une exigence des vétérinaires d'être associés aux textes d'application ». Car il n'y a pas d'opposition de principe chez les syndicats vétérinaires, mais une ferme volonté de participer aux réflexions, afin de résoudre efficacement les problématiques de la profession, qui dépassent le manque d'effectif de praticiens.

L'Ordre des vétérinaires n'a pas participé à cette table ronde. Mais il a précédemment exprimé sa position dans un communiqué, expliquant que « le principe même d'ouvrir la formation vétérinaire à des établissements de l'enseignement supérieur agricole privés agréés par le Ministère de l'agriculture est légitime ». Et il en a précisé le cahier des charges à respecter pour en assurer la qualité.

Cadrer les modalités pratiques de cette ouverture aux établissements privés et d'autant plus importante que d'autres projets peuvent se monter. Celui d'UniLaSalle apparaît rassurant sur de nombreux points, mais c'est le premier.

Le collectif Vétérinaire en colère, de son côté, n'est pas résigné : fort de ses 2700 abonnés et des 3700 signatures obtenues à sa pétition (en date du 27 novembre), il prévient qu'il multipliera les actions pour s'opposer au projet (rendre son mandat sanitaire par exemple) et espère une mobilisation massive des vétérinaires.

Un replay bientôt disponible

D'autres points ont été évoqués, la recherche en particulier. Les organisateurs annoncent que la vidéo de la table ronde sera disponible en replay, en libre accès sur le site Wizzvet (inscription obligatoire mais gratuite). Ils annoncent également leur souhait d'organiser rapidement une seconde table ronde sur le même sujet afin de prolonger les discussions.